Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

L'envol (tome 2) - chapitre 26

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Chapitre 26

Il tourna la clef de contact. D’un geste précis, il déploya la béquille latérale, qui s’enfonça légèrement dans le sol poussiéreux. Il s’appuya sur sa jambe gauche et s’extirpa de l’espace réduit qui lui était réservé sur la selle de son Scrambler, entre son gros réservoir et les bagages placés à l’arrière.

Il fit quelques mouvements d’assouplissement, étira son corps endolori par les nombreuses heures de route.

Le soleil était au zénith; il attrapa la bouteille rangée dans son sac et but longuement l’eau tiède.

Le moteur lui renvoyait un air surchauffé et il s’éloigna de Voxane. Un peu de poussière se soulevait à chacun de ses pas. Il regarda autour de lui ; des montagnes aux tons ocre se dressaient au dessus de la vallée, la végétation était rare.

Le ciel était d’un bleu très pur ; il s’amusa à suivre l’avancée d’un nuage minuscule, perdu dans cette étendue. Il finit par disparaître, comme absorbé par l’immensité bleue.

Il glissa la main dans la poche de son blouson et en retira son couteau. Un Opinel au bois patiné, qu’il avait emporté lors de son premier voyage en Algérie et qui ne le quittait plus depuis ; cet objet était devenu un compagnon de route.

Il déploya la lame qu’il fixa d’un geste mille fois répété, avec le cran d’arrêt. Il attrapa le pain rangé au fond de son sac et en découpa une tranche, il la garnit de boulettes de fèves, frites, achetées le matin. Il s’assit sur un rocher qui dominait la route, et se mit à mâcher lentement son repas frugal.

A cet instant, il se sentait merveilleusement bien ; libre comme l’air. Il contempla sa moto ; le contraste entre sa taille réduite et sa capacité à transporter tout le nécessaire à sa vie quotidienne le fit sourire.

Qu’il était aisé de vivre avec le minimum, avec pour seule maison ce petit bout de toile en aluminium qui lui servait d’abri, parfois, quand les conditions météorologiques ne lui permettaient pas de passer la nuit à la belle étoile. Le confort douillet de son petit appartement français ne lui manquait pas ; bien au contraire, il réalisait qu’il l’avait éloigné de l’essentiel, en l’incitant, insensiblement, à se replier sur lui-même.

Il comprenait maintenant ce besoin qu’il avait eu de rompre avec ce quotidien en vendant son appartement et en quittant son travail. Et également cette angoisse qui l’avait habité, au moment de son départ, face à la vie de bohême qui allait être la sienne.


Il avait conscience d’être en marge de la société, mais il vivait cet état comme un statut privilégié. Seul comptait le moment présent et cette faculté qu’il avait de saisir les opportunités qui se présentaient sur son chemin à travers les rencontres qu’il faisait.

Son repas terminé, il alla chercher son petit réchaud à essence sur lequel il installa sa théière métallique cabossée. L’eau, en bouillant, souleva le couvercle qui tinta doucement ; il ajouta une pincée de thé vert et du sucre en poudre et attendit que l’ensemble infuse.

Au loin, le bruit d’un moteur de camion essoufflé lui parvint ; il suivit l’évolution de l’engin au gré des multiples changements de vitesse qui résonnaient dans la vallée. Enfin, le vieux Volvo, à la peinture rouge usée par les assauts du temps, apparut à la sortie du virage ; le moteur vrombit un peu plus fort.

Chris fit un grand geste de la main pour saluer le routier qui lui répondit par quelques coups de klaxon retentissants. Un frisson le parcourut ; il se sentait très proche des conducteurs de camions avec lesquels il partageait cette vie nomade.A plusieurs reprises, il avait eu l’occasion de les côtoyer , lors d’un repas pris ensemble dans un restaurant ou d’un arrêt sur le bord de la route à partager un thé.

Il considérait ces hommes comme ses frères de la route et avait toujours beaucoup de plaisir à partager ces moments avec eux. Il aimait ces contacts empreints de simplicité au cours desquels, naturellement, leurs vies respectives se rejoignaient, l’espace d’un instant.

Leur nomadisme les rapprochait. Tout naturellement, Chris ressentait une sympathie particulière à l’égard de ces hommes sillonnant un pays, une région ; Leur accueil généreux l’avait souvent ému.


Il versa le thé dans son petit verre.

Son arrêt se prolongeait ; il se laissait gagner par une douce torpeur. Par petites goulées, il but le breuvage brûlant. Il se resservit à trois reprises, lentement. Il n’avait plus envie de bouger de cet endroit et retardait le moment du départ.

 

Il vit apparaître une silhouette au sommet de la colline en face. Il supposa que c’était un berger car il apercevait quelques chèvres à la recherche de végétation. Avec une agilité peu commune, le berger dévala la pente empierrée et s’approcha de Chris.

« Salam Aleikum » lui lança ce dernier en cherchant un deuxième verre dans son sac, heureux de partager son thé. Sous la gandora beige,c’est un gamin qui lui faisait face ; un sourire radieux sur les lèvres.

Il s’accroupit près de Chris et se saisit du verre qu’il lui tendait. Il but le thé par petites rasades, en l’aspirant bruyamment ; il gardait un œil attentif sur son troupeau de chèvres qui s’approchait doucement des deux hommes tout en s’éparpillant à la recherche d’un peu de végétation.

Chris tenta sans succès d’engager la conversation avec ses rudiments d’arabe, mais il savait pertinemment que son intonation trop approximative ne recueillait à chaque fois que perplexité de ses interlocuteurs. Et le silence n’était aucunement source de gêne dans ce pays.

Alors, ils restèrent ainsi, face à face, à partager quelques verres de thé et des gâteaux secs.

Enfin, son invité, la main sur le cœur, le remercia et lui fit signe de le suivre ; ils grimpèrent la colline qu’il avait dévalée tout à l’heure et, arrivés, au sommet, il pointa du doigt un campement de quelques tentes dont les tons de beige se confondaient avec l’environnement.

Par quelques gestes, il lui fit comprendre qu’il vivait là et, montrant sa moto, mima l’attitude du motard en direction de ce campement.
Chris descendit rejoindre son Scrambler.

Un frémissement parcourut son corps ; une fois de plus, un inconnu lui tendait la main et lui proposait l’hospitalité.

Il démarra et s’engagea sur la piste empierrée, à petite vitesse ; il apercevait au loin le jeune berger à proximité des tentes.