Bien qu'ayant très peu tourné sur circuit, j'ai suivi avec passion les courses de motos depuis que je m'intéresse aux deux roues.
Le circuit de Nogaro, situé à 80 kilomètres de la maison, a souvent reçu ma visite que ce soit au guidon de mon cyclomoteur ou celui de mes motos.
Mon hebdo était également là pour m'informer des différents championnats et c'est à travers lui que je rêvais de ces grands pilotes qui assouvissaient leur passion sur les circuits du monde.
Bien sûr, j'avais mes préférés: Patrick Fernandez Thierry Espié, Barry Sheene, notamment, en font partie.
Il y en a un qui dépassait tous les autres dans l'intérêt que je lui portais. Il s'appelait Christian Sarron.
Il a eu une carrière que je qualifierais d'exceptionnelle car il a éclaté très vite au plus haut niveau avec une victoire à 22 ans en 1977 et elle s'est prolongée jusqu'en 1994 avec sa victoire la plus émouvante puisqu'il a gagné le Bol d'Or en partageant le guidon avec son frère Dominique, quatre ans après avoir arrêté la compétition.
Et, tout au long de ces années, il est resté fidèle à une seule marque, Yamaha, et cette dernière l'a toujours soutenu, même dans ses années les plus sombres, lorsqu'il alternait les blessures les plus sérieuses. Derrière la marque, c'est d'ailleurs un homme, Monsieur Jean Claude Olivier , qu'il faut louer tant il a su créer autour de lui une dynamique propre à vaincre tous les obstacles.
C'est toujours avec une certaine émotion que je suivais les résultats de mon pilote favori dans les compte rendus de Moto Journal, à une époque où il ne fallait pas compter sur la télé pour voir des images de courses de motos.
Il y eut cette belle période des 750 où Christian Sarron se révélait très efficace, même s'il n'était pas le seul pilote français dans ce cas.
Puis, une période noire avec la 500 Yamaha, avec ses blessures à répétition.
Enfin, sa résurrection quand il retrouva la 250 cm3, monta en puissance jusqu'à décrocher avec panache le titre mondial en 1984.
Il me fit ensuite rêver lorsqu'il arriva l'année suivante dans la catégorie reine, les 500 cm3, avec des pilotes très doués à affronter: en effet, les Freddie Spencer, Eddie Lawson, Randy Mamola, Wayne Gardner, Ron Haslam étaient des sacrées pointures.
Et, il m'émerveilla par son adaptation à cette catégorie avec des résultats à la hauteur, puisqu'il termina 3ième du Championnat avec une victoire à la clef, sous la pluie, et un dépassement sur Spencer dont je me souviendrai toute ma vie.
C'est d'ailleurs sur sol mouillé qu'il dévoilait (encore plus) tout son talent. Son pilotage était très fin, avec d'ailleurs une position tout en ligne sur la moto qui permettait de le reconnaitre aisément dans le paquet de pilotes. Et, dans des conditions piégeuses, il était très efficace.
Je ressentais chez lui une grande détermination, parfois même une obstination. Son regard sous la visière du casque témoignait de cette volonté inébranlable d'aller toujours plus vite, avec parfois des chutes spectaculaires. Car, il semblait ne jamais baisser les bras, comme lors de ce Grand Prix de France sur le circuit du Mans en 1985 où, après un mauvais départ ( son gros défaut), il entreprit de remonter sur le grand Freddie Spencer en grapillant dixième après dixième ... jusqu'à la chute, hélas. Mais, cette course était révélatrice de son état d'esprit.
J'ai retrouvé une interview très intéressante de ce pilote, réalisé début 1984, juste avant la saison qui allait le sacrer Champion du Monde.
En voilà un extrait :
" Quand je fais un footing, je me fixe un but, toujours descendre mon temps sur un parcours donné. Que je sois malade ou blessé, c'est pareil. Le chrono doit descendre par rapport à la veille. j'en ai pleuré des fois, hurlé tout seul ... mais je ne cède pas. Si je cède, j'ai peur .... c'est que je suis faible et alors je ne pourrai pas aller vite sur la moto".
"Alors, pour aller vite, il faut être en transe... dans un état second et ça, c'est longtemps, très longtemps avant la course que tu le fabriques. Par exemple dans cette colline en en bavant pour monter chaque jour... voilà ce que c'est mon hiver. Tout est dans la tête. Ecoute ça ...avant la course du Mans, le Grand Prix de France, je savais que j'irais vite. Je le savais parce que j'avais déjà vécu cette course, des mois avant... dans ces bois... je m'étais vu doubler les types sans problème, avec une détermination terrible ... et le jour du Grand Prix, ça s'est passé comme ça. Ils étaient devenus.. j'ai du mal à dire ça, mais c'est vrai, des chicanes mobiles, je n'avais même plus de trajectoire... je passais... et puis la casse a tout arrêté... mais ce qui compte c'est le mécanisme mental... le ressort remonté à fond, tu comprends?Alors cette image de mec doué, visité par le ciel, c'est un gag, je travaille en permanence que c'en est douloureux, pour être dans le coup... et ça fait dix ans, et c'est pas fini... et j'ai toujours peur d'être un mauvais si je me relâche...".
Un peu plus loin dans l'interview, on réalise le grain de folie qui accompagne le champion:
Il est seize heures. Le circuit de kart est mouillé. Christian s'élance en slick pour une séance de photos.. très vite, il s'arrête pour jouer les metteurs en scène, discuter les réglages avec le mécanicien, demander à son frère de prendre le chrono. Dans son casque, en trois tours, il a exactement le rictus des Grands Prix, les yeux écarquillés et le front en avant. il faudra s'y mettre à trois pour l'arrêter de tourner. La nuit n'est pas loin. dans l'auto du retour, il est silencieux. Est-il en train de rêver son départ au Grand Prix d'Afrique du Sud ? Tout d'un coup, il se déclenche
"Au Grand Prix d'Autriche, Herweh nous a emmerdé toute la course. Il avait un boulet, à chaque fois je le larguais dans le sinueux et il repassait dans la ligne droite. A l'arrivée, au lieu de reconnaître la qualité de son moteur, il fait le malin , il dit que non, il est comme nous. J'ai senti la colère monter en moi... En Yougoslavie, il refait le même coup, gênant tout le monde dans les esses et se tirant dans la remontée. Dans les derniers tours, j'étais encore loin de lui. Je le fixais comme une cible. On est arrivé sur la cassure, très délicate, où il faut rendre un peu. J'ai pensé qu'il était impossible qu'il soit devant, trop injuste, et je suis resté taquet. Je suis parti en glissade à côté de lui et il a eu peur, je me suis récupéré et j'étais devant... C'était impossible autrement, pour la vérité..."
J'ai suivi sa carrière comme si c'était celle d'un bon copain, avec des hauts et das bas, notamment ses chutes à répétition, conséquences de son tempérament de feu. Je me souviens d'ailleurs de l'interview de Jacky Germain, qui travaillait pour Yamaha et avait une affection toute particulière pour Christian Sarron. Pour résumer, il disait qu'il savait qu'il serait devant... s'il ne tombait pas. Il cite d'ailleurs l'exemple d'un grand Prix où il rate complètement son départ et se retrouve dernier; à la moitié du premier tour, il était quatrième! Puis chutait peu après! Un personnage entier.
Il n'a pas réussi à décrocher un deuxième titre dans la catégorie reine, mais il anima cette dernière de fort belle manière en étant très souvent aux avant postes, se battant avec des pilotes de haut niveau.
J'ai ce souvenir des cinq pôle positions qu'il décrocha d'affilée en 1988. Il était alors au sommet de son art mais, hélas, n'arriva pas à complètement concrétiser en course. Il termina malgré tout quatrième du championnat, après deux années relativement moyennes en 1986 et 1987 (sixième et septième au championnat).
Il achèvera sa longue et brillante carrière en vitesse avec de nouveau une belle année 1989 où il termine troisième derrière Eddie Lawson et Wayne Rainey et, enfin sa dernière saison en 1990 avec une neuvième place finale.
En compulsant les vieux Moto Journal, j'ai pris encore plus conscience de sa présence au plus haut niveau pendant de nombreuses années. Les quelques photos qui habillent mon article montrent Christian Sarron avec les meilleurs pilotes, dans le groupe de tête, de Barry Sheene et Johnny Cecotto à Wayne Gardner et Kevin Schwantz, en passant par Eddie Lawson, Freddie Spencer et Randy Mamola.
Merci Monsieur Sarron pour tous ces moments inoubliables que vous m'avez fait vivre.