Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

L'envol (tome 2) - chapitre 20

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Chapitre 20


L ‘homme, après lui avoir servi le thé, s’était assis à la table voisine. Il caressait son chien. Chris avait fait halte dans ce café perdu, sur la route des oasis.

Le bâtiment était délabré mais il régnait dans cet endroit une douce atmosphère alors que le soleil se faisait plus présent. L’air sec s’était installé dans ce coin retiré du monde. Son voisin restait silencieux.

Chris goûtait au calme ambiant, si éloigné d’Alexandrie, belle et attachante, mais ô combien bruyante et épuisante. Un besoin impérieux de calme et de solitude s’emparait de lui.

Hier au soir, c’était un véritable déchirement de s’arracher à sa rue quotidienne, à la compagnie de Mokhtar et, quelques heures plus tard, cet endroit perdu semblait lui faire un appel du pied, l’invitant à interrompre sa route. Il se laissa envahir doucement par ce sentiment diffus qu’il était peut-être bon de ne pas respecter le programme de la journée à la lettre.

Il avait de moins en moins envie de reprendre le guidon de son Scrambler et il commanda un autre thé, puis un suivant. Entre deux gorgées, il se laissa porter par la rêverie. La chaleur devint plus supportable.

Il alla voir ce monsieur si silencieux qui s’était réfugié dans le café, sous le vieux ventilateur qui dispensait un peu de fraîcheur en grinçant dans un rythme régulier.

Avec ses quelques mots d’arabe, il lui demanda s’il pouvait dormir ici mais l’homme semblait ne pas comprendre ; alors, il mima la scène, le montage de la tente, la position allongée, les yeux fermés. Les yeux de son interlocuteur se mirent à briller et, pour la première fois, il sourit. Il lui montra ses lèvres closes, ses oreilles, dans une attitude de négation. Chris comprit ; l’homme était sourd et muet.

La main calleuse avait agrippé son bras et l’entraînait sur les sentiers sablonneux de la palmeraie.

Il suivait l’homme, mi intrigué, mi amusé. Il avait l’impression d’être un petit garçon qu’un adulte conduisait dans un endroit nouveau pour lui.

Son guide rayonnait, il remuait la tête comme s’il battait la mesure d’une chanson. Ils arrivèrent dans une petite maison, modeste, aux murs de terre desséchés, fissurés. Un simple morceau de tissu bleu faisait office de porte d’entrée. Un âne était attaché à un piquet à l’ombre d’un palmier, quelques poules cherchaient un peu de nourriture dans le sol aride.

Ils pénétrèrent à l’intérieur de la maison. Chris mit un peu de temps avant de s’habituer à la pénombre ambiante. Trois pièces en tout et pour tout : la première, à gauche en rentrant, possédait quelques coussins; un tapis, qui portait le poids des années, tentait d’apporter une touche colorée à l’endroit ; la deuxième, avec un matelas posé à même le sol et un semblant d’armoire et, enfin, celle qui faisait office de cuisine avec, une bouteille de gaz reliée à un trépied et un petit garde manger.

Il resta interdit devant tant de dénuement. La pauvreté était présente dans chaque recoin de la maison. Son compagnon ne lui laissa pas le temps de la réflexion et lui proposa, d’un geste de la main, de s’asseoir sur un coussin.

Le silence qui accompagnait son invitation acheva d’installer un sentiment de malaise chez Chris; il n’osait plus parler. Un peu gauche, il observa l’homme qui s’affairait à la préparation d’un repas pour le soir. Régulièrement, il s’interrompait, le regardait avec un sourire radieux sur les lèvres. Manifestement, il était heureux de recevoir quelqu’un chez lui. Dehors, au loin, des enfants criaient en s’amusant.

La nuit s’était installée depuis longtemps et les deux hommes se faisaient face, séparés par les restes du repas. Azid alluma une cigarette. Chris lui avait demandé d’écrire son nom après avoir fait de même sur un bout de papier.

Avec ses rudiments d’écriture arabe, il espérait ne pas avoir fait de faute mais, à la moue dubitative de son compagnon, il comprit que ce dernier ne savait pas lire. Peut-être ne savait-il écrire que son nom…

Peu à peu, Chris était parvenu à évacuer cette gêne qu’il avait éprouvée en arrivant dans cette demeure. Azid avait un regard vif, constamment aux aguets; de temps en temps, il lui prenait la main et lui faisait signe de parler. Comme pour sentir les vibrations de son corps.

Le Scrambler avait pris place à côté de l’entrée de la maison. Chris se leva pour décharger la moto et son compagnon vint l’aider. Il eut un air interrogatif en apercevant le sac que Chris maniait avec tant de précaution.

A la vue de l’accordéon, Azid manifesta sa joie et demanda lui demanda de jouer. Chris se sentit stupide devant cet homme enfermé dans ce monde de silence, mais il fit l’effort de faire courir ses doigts sur les boutons de nacre de son petit accordéon en bois d’érable.

Le silence environnant, la lumière si fragile dispensée par les trois bougies disséminées dans la pièce, l’isolement de cette petite maison l’impressionnaient; c'est une complainte qui s'échappa du bois de l’instrument. Il tentait de l’étouffer en retenant les mouvements du soufflet. Les sons essayaient d’apprivoiser l’environnement sans vraiment y parvenir.

Il ferma les yeux dans l'espoir de se laisser emporter par la musique, mais c’était peine perdue.

Bong- Bong ! Le bruit le fit sursauter, et il regarda Azid qui s’était muni d’une grosse boîte de conserve vide et frappait dessus, battant en cadence l’air qu’il jouait, les yeux rieurs. Alors, ce fut comme si tous les obstacles s’envolaient ; il plongea sans crainte dans cette eau qui lui faisait si peur quelques minutes auparavant. Il appuya un peu plus fort sur les touches, poussa et tira le soufflet avec toute son énergie, tapant du pied, se rapprochant du mur pour qu’il renvoie avec encore plus de puissance les sons qui lui parvenaient. Plus rien ne pouvait l’arrêter, la maison entière vibrait sous la profusion de décibels.

La lumière s’infiltrait par les rares et minuscules ouvertures de la maison. Chris ouvrit les yeux. Son accordéon était posé au pied de son sac de couchage et semblait récupérer après cette nuit un peu folle au cours de laquelle il avait donné de la voix, des heures durant.

Il ne l’expliquait pas mais il en était sûr ; Azid avait « écouté » la musique, la rythmant, dansant parfois ; comme si son corps l’avait absorbée par ses os, les pores de sa peau. Il n’avait jamais connu d’instant aussi irréel et le bonheur qu’il avait ressenti face à la joie de son hôte resterait gravé pour toujours dans sa mémoire.


La maison était calme ; seul le bruissement des feuilles sous la caresse du vent, les piaillements des oiseaux rompait avec délicatesse le silence. Allongé dans son sac de couchage, il glissa ses deux mains sous sa nuque. Il n’avait pas envie de se lever et laissa son esprit vagabonder.