La marque italienne toute juste centenaire est surtout connue pour ses modèles routiers mais, avec l'arrivée de motos de moyenne cylindrée dans la gamme à la fin des années 70, elle a également conçu et fabriqué des motos destinées à s'aventurer sur des terrains non carrossables.
En 1984, alors que les nombreux trails sur le marché se présentaient sous le même pedigree, à savoir un monocylindre et une transmission par chaîne, Moto Guzzi osa la différence, à l'instar de BMW, en proposant un bicylindre et un cardan.
C'est ainsi que la Moto Guzzi V 65 TT arriva sur le marché. La moto était simple, conformément aux standards de l'époque. Elle ne rencontra pas un grand succès sur le sol français. Le constructeur transalpin ne connaissait pas sa meilleure période avec des machines sortant de l'usine que l’on pouvait qualifier de perfectibles pour rester modéré dans les propos ! Bref il manquait un service qualité en bout de chaîne...
Trois années plus tard, en 1987 donc, c'est une moto bien plus aboutie qui voit le jour. La NTX 650 arbore une tête de fourche fixée sur le cadre, un (très) gros réservoir de 32 litres, un tableau de bord plus moderne, mais également des modifications apportées à la partie-cycle (angle de colonne plus prononcé, section des tubes de cadre augmentée, épine dorsale renforcée).
L’Italienne débarque en même temps qu'une certaine Transalp 600. Les deux constructeurs avaient eu la même idée de proposer des trails à tendance routière pour offrir plus de polyvalence.
La NTX mena une carrière discrète, et évoluera avec une cylindrée revue à la hausse (743 cm3) mais cette version commercialisée jusqu’en 1995 restera essentiellement réservée au marché italien.
Mon premier contact avec les belles de Mandello del Lario se déroule au-dessus de Gruissan. La V 65 TT ouvre le bal. Elle a l’apparence simple des motos des années 80 qui la rend immédiatement accessible.
Jean-Marc, son propriétaire, a d’ailleurs accentué l’esthétique sobre de la moto en supprimant carrément la partie arrière du pot d’échappement ! Il faut dire que le « tuyau de douche » reliant la chambre d’absorption sous le moteur au pot terminal est particulièrement hideux. Etonnamment, le son qui s’échappe du moteur reste modéré alors que j’actionne le démarreur; ce dernier, avec son bruit caractéristique, révèle immédiatement que je ne suis pas au guidon d’une moto japonaise. Serait-ce l’origine professionnelle du propriétaire de la moto (mécanicien dans la marine marchande), j’ai l’impression de réveiller un moteur de bateau en écoutant cette mécanique se mettre en branle...
Il y a aussi cette boîte de vitesses pour me rappeler que cette moto ne se soumet pas au premier venu. Elle est relativement précise, mais quelques faux points morts s’invitent parfois, surtout au rétrogradage, pour rappeler au pilote qu’il doit s’appliquer dans le maniement du sélecteur. Quant au moteur, il est à l’unisson, avec des montées en régime tranquilles mais solides. J’ai le sourire derrière la visière de mon casque, sous le charme du V-twin qui distille des sensations incomparables dans une belle sonorité grave. Le moteur est compact et je distingue à peine les deux cylindres dépassant de chaque côté du réservoir.
La moto se révèle très maniable, donne une impression de légèreté agréable, se rapprochant du comportement d’un trail monocylindre japonais. Je hausse le rythme, mis en confiance par une partie-cycle rigoureuse tout en n’oubliant pas mon sens de l’anticipation pour compenser un freinage que je qualifierai de légèrement insuffisant pour rester poli ! C’est aussi cela le plaisir de la moto ancienne....
Une portion de route défoncée révèle aussi la faiblesse des amortisseurs qui réagissent sèchement. Moto Guzzi ne mentionnait d’ailleurs pas sur la fiche technique de ce modèle les débattements de ces deux combinés. Il y avait une raison à cela, c’était la présence d’un arbre de transmission à simple croisillon qui ne pouvait supporter de trop fortes variations d’angle de fonctionnement et les débattements étaient limités aux 110 mm de la version routière, ce qui est très peu pour une moto destinée à quitter les routes goudronnées. De plus, la garde au sol assez faible incite à ne pas s’aventurer sur des pistes trop difficiles.
Quelques semaines plus tard, c’est au tour de la petite sœur de montrer ses qualités dans un autre bel endroit, la route des crêtes au-dessus de Cassis. Jean-Marc l’a achetée il y a une quinzaine d’années et elle lui sert au quotidien et pour des virées plus longues.
Posée sur sa béquille centrale, la NTX 650 impressionne. La moto est démunie de béquille latérale d’origine même si, sur ce modèle, l’ancien propriétaire en a installé une. L’énorme réservoir de 32 litres ne peut cacher sa taille respectable. En revanche, la vision de cette courte selle surprend en limitant les possibilités d’un duo confortable.
Pourtant, une fois assis, le gros bidon s’oublie, le guidon relevé tombe bien en mains et la hauteur de selle n’atteint pas les sommets que l’on pouvait craindre. Seuls les repose-pieds, en avant et hauts, surprennent lors des premiers tours de roues avec un sélecteur qu’il faut aller chercher.
Comme sur la V 65 TT, le bruit caractéristique du démarreur met dans l’ambiance et il me faut m’habituer au passage des vitesses lent et générateur de quelques faux points morts. Difficile d’oublier que je suis sur une Moto Guzzi de l’ancienne génération d’autant que la poignée de gaz dure ne me facilite pas la tâche.
Heureusement, il y a ce moteur si plaisant qui me ravit avec son couple bien présent (5,24 mkg à 3 600 tr/mn) permettant de tracter l’ensemble pilote-machine avec force. Sa plage de fonctionnement favorite, c’est entre 2 500 et 5 000 tr/mn et je me délecte du grondement sourd du bicylindre à chaque rotation de la poignée de gaz.
Le cardan se fait oublier et la rigueur de châssis met en confiance sur la route aux multiples virages que j’aborde avec plaisir.
Peu à peu, je rentre en phase avec cette moto italienne qui demande juste un peu de temps avant de se livrer. Quant au frein avant, il manque là encore de consistance.
Pour un ralentissement digne de ce nom, il faut solliciter l’élément arrière qui, ô surprise, répond immédiatement, est facilement dosable et fait preuve d’une efficacité redoutable. C’est indubitablement le meilleur frein arrière que je n’ai jamais essayé.
A l’approche des premières inégalités de la route, je me crispe. Je n’ai pas oublié la réputation exécrable des amortisseurs vérifiée par mes soins en 1987.
Heureusement, Jean-Marc a opté pour des Shock Factory.
Ces derniers, autrement plus rigoureux que ceux d’origine, participent à un sentiment de confort accentué par une selle accueillante et une bonne protection de la tête de fourche pour le haut du corps et du réservoir pour les jambes. C’est ainsi que, peu à peu, je me laisse porter par cette moto attachante qui semble prête à bouffer du kilomètre.
Malheureusement, il y a cette petite douleur qui s’installe au niveau de mon poignet droit au fil des minutes, résultat de cette poignée de gaz bien trop dure qui arrive à gâcher (un peu) le plaisir de chevaucher cette sympathique Italienne.
Une plongée dans la circulation urbaine de la cité phocéenne montre les prédispositions de la NTX pour un tel usage. Elle se manie aisément et se révèle auto-stable à très faible allure. Seul un point mort difficile à trouver me gêne un instant jusqu’à ce que j’utilise la méthode qui a fait ses preuves avec les boîtes récalcitrantes : la petite impulsion sur le sélecteur pour passer du second rapport au point mort avant l’arrêt de la machine.
Au final, c’est avec un certain regret que je rends la moto à son propriétaire. Tout d’abord parce que j’aurais aimé prolonger cet essai pendant quelques centaines de kilomètres, ce qui est bon signe ! En second lieu, j’ai le sentiment que le constructeur de Mandello aurait pu, avec une telle base moteur, être le BMW de l’Italie. Celui qui aurait proposé une alternative aux constructeurs japonais en plein essor, avec une personnalité propre.
Mais une qualité de fabrication et une finition perfectibles n’ont pas permis à Moto Guzzi de rencontrer le même succès et le même développement que son concurrent allemand. Les moyens financiers et techniques n’étaient certainement pas à la hauteur de ceux du constructeur bavarois...
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et Moto Guzzi a appris de ses erreurs passées avec l’arrivée en 2019 d’une V 85 TT très séduisante qui rencontre un beau succès sur le sol européen. Et l’histoire n’est peut-être pas terminée avec ce tout nouveau moteur refroidi par eau qui équipe la V 100 (avant de faire de même sur un futur trail?).
Remerciements:
Un grand merci à Jean-Marc Donnadieu, un amoureux des motos originaires de Mandello del Lario.
Outre les deux modèles essayés, il possède une V 85 TT plus moderne et n’hésite pas à frotter du genou sur circuit au guidon de sa Moto Guzzi 850 Le Mans II. Merci à lui pour le temps qu’il a consacré afin de permettre la rédaction de cet article.
Moto Guzzi et le Paris-Dakar:
Janvier 1979. L'épreuve du Paris-Dakar en est à ses débuts mais elle rencontre un engouement extraordinaire. C'est cet enthousiasme qui a dû naître dans les locaux de l'importateur Moto Guzzi en France pour avoir osé transformer "dare-dare" une moto (la V 50) pas vraiment destinée à fréquenter les difficiles pistes africaines. Faute de temps, il n’a pas été pas possible de concevoir un moyeu pouvant accueillir une roue à rayon à l’arrière et ce sont les roues à bâtons d'origine qui seront retenues et causeront bien des soucis en cassant allègrement. Une seule moto terminera l'épreuve en 48ième position (74 concurrents classés et 107 abandons!), avec Bernard Rigoni au guidon, entre un Range Rover et un Toyota BJ ( il n'y avait pas de classement par catégorie à l'époque). Le constructeur poursuivra son engagement pendant quelques années mais sans succès. N'hésitez pas à aller sur l'excellent site Dakar d'antan où Martine Rénier, une des pilotes de ces Moto Guzzi, raconte avec talent et beaucoup d'humour l'ambiance assez incroyable qui régnait sur cette épreuve un peu folle:
http://www.dakardantan.com/forum/dakar-79-m-renier-engagee-sur-guzzi-500-tt-n-88-vt489.html
Caractéristiques techniques
MOTO GUZZI V 65 TT
Produite de 1984-1987
29 316 F (prix neuf, soit 4 469 €)
MOTO GUZZI NTX 650
Produite de 1987-1990
35 240 F (prix neuf, soit 5 372 €)
MOTEUR : Type bicylindre quatre temps
en V à 90° refroidi par air
• Embiellage : Vilebrequin monobloc reposant sur deux paliers
• Distribution : ACT central, deux soupapes
par cylindre, réglage par vis et contre-écrou
• Cylindrée : 643 cm3
• Alésage x course : 80 x 64 mm
• Rapport volumétrique : 10 à 1
•Puissance maxi : 50 ch à 7 250 tr/mn (52 ch à
7050 tr/mn)
• Couple maxi : 5,24 mkg à 3 600 tr/mn
• Alimentation : 2 carburateurs Dell Orto ø30 mm
• Lubrification par carter humide, pompe trochoïde
• Embrayage monodisque à sec
• Boîte de vitesses 5 rapports
• Transmission finale : arbre et cardan
PARTIE-CYCLE : Cadre double berceau
tubulaire démontable
• Suspension avant : fourche Marzocchi 40 mm, débat. 210 mm
• Suspension arrière : 2 amortisseurs Marzocchi à gaz à bonbonne séparée
• Frein avant : 1 disque ø 260 mm, étrier 1 piston
• Frein arrière : 1 disque 260 mm, étrier 1 piston
• Roues Akront en acier, rayonnées
• Pneus : AV 300 x 21 - AR : 400 x 18
DIMENSIONS ET POIDS :
Empattement 1 480 mm
• Garde au sol 165 mm
• Réservoir 16 litres (32 litres)
• Poids à sec 165 kg (175 kg)
Achat d'occasion. Que vérifier?
Une réelle motivation parait nécessaire. Tout d’abord parce que la moto est rare et ensuite compte tenu d’une relative robustesse mécanique.
Jean-Marc, le propriétaire des deux motos, a, par exemple, effectué les travaux suivants : changement, par précaution des roulements de boîte car celui de la 3ième sifflait, réfection du cardan qui donnait quelques signes de fatigue, changement des segments car la moto consommait un peu d’huile. Il a profité de cette opération pour ausculter l’ensemble du moteur qui s’est révélé être en parfait état.
Bref, quelques compétences mécaniques peuvent être d’un précieux secours. A noter la très bonne accessibilité mécanique. Comme pour beaucoup de motos anciennes, les prix ont tendance à s’envoler.
La disponibilité des pièces est bonne, hormis pour les éléments de carrosserie. Trois sites incontournables, français, allemand et italien permettent de trouver son bonheur.
http://www.la-boutique-italienne.com
Et pour échanger avec les passionnés de la marque, n’hésitez pas à aller fouiner dans le forum
qui lui est dédié : https://forum.guzzi-passion.com/
Cet article a été publié dans la revue Trail Adventure n°28 qui peut être commandée à l'adresse suivante:
https://boutiquecppresse.com/fr/64-anciens-numeros-trail-adventure-magazine