Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

Honda Goldwing 1800: un autre monde

Les 9 et 10 juin 2012, j’ai quitté mon univers, celui que j’ai toujours connu dans ma vie de motard, celui qui possède un, deux, voire au maximum quatre cylindres, celui dont le poids maximum s’arrête à 250 kilos, celui où il faut passer par l’intermédiaire des accessoiristes pour équiper sa monture.
J’avais entendu parler de ce monde parallèle mais j’avoue que je ne m’y étais jamais intéressé. Trop éloigné de mon budget, de mes attentes.
Et voilà que mon concessionnaire favori me lance, il y a quelques mois : «  j’aimerais bien te faire essayer une Goldwing, un jour ».

 


Je pense l’arrêter dans son délire en lui rétorquant que ce paquebot des routes n’est vraiment pas ma tasse de thé. Je crois alors en avoir fini avec cette proposition saugrenue, d’autant que les Goldwing de démonstration ne courent pas les rues.


J’aurais dû me méfier, Philippe a de la suite dans les idées.


Ainsi, récemment, il m’annonce qu’une Goldwing va rentrer en modèle d’essai et que je peux venir la chercher.
Le soir, Marie, enthousiaste, me dit qu’elle veut m’accompagner, mais pas avec sa VTR 250, non sur la selle passager. Devant un tel guet-apens, je ne peux que m'incliner!


Cette moto mythique de Honda ne m’est pas inconnue, malgré tout. Je me souviens de sa naissance, alors que, jeune ado, je commençais à regarder de très près les deux roues. Déjà, à l’époque, l’essayeur s’était enthousiasmé pour le silence et la douceur du moteur, beaucoup moins pour la garde au sol. Honda avait déjà figé ce qui allait être les caractéristiques de ce modèle. Puis, je l’ai vu évoluer vers plus d’équipements, des carénages imposants, une cylindrée en hausse constante, tout ce qui me faisait dire que ce n’était plus vraiment une moto.


Je suis allé sur un site qui s’intéresse à cette moto et j’ai appris que le premier prototype possédait déjà un six cylindres de 1470cm3 et que seules des contraintes techniques avaient poussé Honda à abandonner ce moteur pour un quatre cylindres, car le moteur prenait trop de place et générait une position de conduite peu orthodoxe. Ils ont de la suite dans les idées, les Japonais, puisque le six cylindres est arrivé en 1988 et a grossi en 2001 pour terminer avec une cylindrée de 1800 cm3, ce qui commence à faire beaucoup.



Quand je prends possession de l’engin à la concession de Pau, samedi, je reconnais que je suis tendu.  Je compte pas moins de 41 boutons de commande au tableau de bord. Eric se contente de me prérégler la suspension arrière sur deux positions, me montre le fonctionnement de la marche arrière. Quant à la radio, je décline l’invitation, je ne vois pas l’intérêt de l’écouter en moto.

Je m’assois sur la large selle, étonnamment basse et j’ai les pieds bien à plat au sol. Cela me rassure car je n’arrive pas à oublier que j’ai plus de 400 kilos sous les fesses.


Je démarre sur un filet de gaz, le six cylindres fait entendre un son feutré et mélodieux, si différent de ce que le monde de la moto offre habituellement.

Je rejoins Marie chez les amis qui vont nous garder Manon pour le week-end, huit petits kilomètres où je me surprends à ne pas dépasser 2000 tours/minute. La souplesse du moteur est phénoménale, il reprend sans le moindre à-coup à des régimes inférieurs à 1000 tours/minute.


Mon cœur bat plus fort que d’habitude, j’ai oublié que j’avais 800 000 kilomètres de moto derrière moi.

 

Elle m’impressionne, cette moto !


Chez Bernard et Marie-Lise, les discussions vont bon train mais je n’ai qu’une envie, rouler enfin, pour évacuer cette appréhension.


C’est parti. Je m’applique à conduire le mieux possible, comme si je craignais ne pas être à la hauteur de ce mythe. Pour l’instant, j’essaie de ne pas trop faire claquer la boîte ; heureusement, dès la cinquième overdrive enclenchée, il est rarement nécessaire de rétrograder tant le moteur tracte dans une infinie douceur, mais avec force, l’ensemble.


Je ressens une impression étrange, je n’ai pas dit désagréable, que j’ai du mal à analyser. Peut-être le fait que la roue avant soit complètement hors de vue, on en oublierait son existence, que le faux réservoir soit situé très bas et que l’on ne l’enserre pas vraiment avec les jambes ; mais il y a aussi cette position que je n’ai jamais connue auparavant. Je suis assis comme dans un confortable fauteuil, le guidon bas et revenant en arrière tombe naturellement sous mes mains qui participe à une ergonomie parfaite.

C'est également la première fois que, en duo sur une moto, j'ai le sentiment de conduire seul. Marie est loin derrière moi et chacun vit sa vie dans son espace dédié.

En haut de la côte de Soumoulou, je fais mon premier dépassement. Les quatre voitures sont avalées sans coup férir. Ah, oui, c’est qu’il pousse quand même cet engin !

Aux très bas régimes, j'adore ce très léger « glougloutement » qui me fait penser aux 8 cylindres des grosses voitures américaines.

A 3000 tours/minute, l’aiguille du compteur frôle les 120. Je roule visière ouverte, bien protégé derrière le pare-brise XXXL. J’aime le tableau de bord sobre et complet, à l’ancienne avec les aiguilles. Le tout numérique m’aurait paru déplacé sur une telle moto.

Après une petite heure de route, nous nous arrêtons pique niquer. L’installation sur la béquille centrale est très facile et il est également aisé de la mettre sur la latérale. On sent une excellente répartition du poids quand on redresse la moto ; cela se fait sans effort. Malgré tout, lors des manœuvres à l’arrêt, je suis vigilant, j’anticipe, bref je ne relâche pas mon attention.

 

 

Plus tard, nous rejoignons les belles routes ariégeoises. Pour la première fois dans ma vie de motard, je me fais la réflexion que cette moto devrait être équipée d’origine d’une boîte automatique. En fait, non, mieux que ça, une transmission hydraulique telle que celle installée sur la DN 01. Car, les changements de rapports, même automatiques, seraient de trop. Là, souvent, je n’ai pas envie de changer de vitesse, d’autant que ça claque beaucoup trop pour moi. Dans cet univers ouaté, tout bruit parait déplacé.

 

 

      

Nous avons quitté Foix, je commence à me lâcher, à faire abstraction du poids plus que respectable de la moto. Il faut dire qu’elle fait tout pour le faire oublier, tant elle se révèle saine dans son comportement avec un freinage qui répond présent, un châssis rigide. Je garde toutefois une réserve en me disant que, si, dans un virage, il faut changer la trajectoire pour faire face à un imprévu, cela risque d’être un plus compliqué qu’avec une NCX 700, pour parler d’une moto côtoyée il y a peu.

 

 

Après Quillan, nous traversons le défilé de Pierre Lys, sur une route étroite, bordée par une falaise abrupte et la rivière de l’Aude qui se fraye un chemin dans les rochers.

 

 

Le rythme s’accélère. Je suis impressionné par ce moteur, véritable pièce maîtresse de la moto. Je m’attendais à un bruit feutré mais il y a bien plus dans ce six cylindres.

Il chante, ce moteur. Il est plus dans le répertoire du baryton que du castrat. Il est envoûtant.

Dès 2000 tours/minute, il m’enivre de ses vocalises. Bien protégé des bruits du vent par le carénage, je profite de la musique dispensée par ce bloc imposant.

Avec lui, peu importe le rapport sélectionné, tant il donne l’impression de pouvoir faire face à n’importe quel dénivelé. Je me stabilise à 120 km/h, bercé par les mélopées des pistons et soupapes qui chantent à l’unisson. Une sensation incomparable.

Ce bloc moteur, je le sens physiquement, sous mes fesses, rigide, comme si c’était lui qui dictait le comportement de l’ensemble. J’ai l’impression qu’il se balance au gré de mes directives, de droite à gauche et que les roues n’ont pas d’autre alternative que de le suivre dans ses mouvements. C’est lui qui mène la barque, il est le maître d’œuvre à bord.

 

 

 

Le premier plein ne manque pas de m’étonner. 15,12 litres pour 273,7 kilomètres parcourus, soit 5,52 litres  aux 100.  Avec une telle masse et 1800 cm3, une consommation un peu élevée m’aurait paru justifiée, mais elle est plus que raisonnable.

Nous arrivons à Argelès sur Mer, dans un petit hôtel bien sympathique que j’avais découvert il y a un an, lors de l’essai de la Crossrunner. Il suffit de tirer sur deux poignées situées sous le top-case et les deux sacoches s’ouvrent, les couvercles retenus doucement par un vérin. Je sors mon appareil photo logé dans le vide poches, à gauche du carénage. Dans celui qui se trouve sur la haut du faux réservoir, j’ai installé, à titre de précaution, une bombe anti-crevaison et un kit de réparation de pneus tubeless. La passagère a également deux petits logements à sa disposition. Bref, il y a de la place pour emporter le nécessaire de voyage avec soi.



Je suis étonné car Marie se plaint d’avoir mal au dos. Elle trouve qu’elle a trop de place derrière et elle bouge beaucoup, n’arrive pas à trouver sa position, n’est pas habituée à être aussi éloignée de moi. Par contre, aucune critique au sujet de la selle, dont le confort est effectivement royal.

Le lendemain, pour quitter notre emplacement de parking, j’actionne la marche arrière. Je me souviens que sa présence m’avait fait rigoler au moment de sa sortie mais elle se révèle indispensable pour effectuer une marche arrière dans de bonnes conditions.

Nous longeons la magnifique Côte Vermeille sur un filet de gaz. La nuit a, semble-t-il porté conseil et je fais moins claquer la boîte de vitesses. Mais, je rêve malgré tout d’un mode tout automatique qui irait si bien avec la philosophie de la moto. La Goldwing se manie aisément dans ses enfilades sans fin de virages serrés. Je n’ai pas envie de rouler vite, le paysage est superbe avec la route qui domine la mer méditerranée et ses multiples criques. La souplesse du moteur fait merveille dans de telles conditions et je me laisse bercer par le feulement du six cylindres à plat. Je redeviens beaucoup moins détendu lors des arrêts photos en évaluant la difficulté du terrain, son adhérence et les possibilités d’un  demi-tour facile. C’est bien beau la marche arrière, mais si je peux éviter d’y recourir…

 

 

 

L’heure tourne et nous prenons la route de Bourg Madame. A plusieurs reprises, je me décide à aller au-delà de 3000 tours/minute sur les intermédiaires pour entendre chanter ce moteur dont je ne me lasse pas.

Oui, vous avez bien lu, hier, j’ai effectué 400 kilomètres entre 1000 et 3000 tours/minute, des régimes dignes d’un moteur diesel, mais les sensations ne sont pas les mêmes !


Quelques dépassements en quatrième jusqu’à 4000 tours/minute font monter le plaisir. La sonorité du moteur, rauque et douce à la fois, me remplit de joie. Je commence à comprendre l’amour que lui portent certains motards.

Philippe m’a parlé de certains clients qui, régulièrement, revendent leur Goldwing pour en acheter une autre. La semaine dernière, l’un d’entre eux, un jeune homme de 84 ans, est parti au Portugal avec ! Pour ceux qui ont les moyens, cette moto peut représenter un aboutissement. Et l’on entre dans une autre dimension avec un six cylindres unique.

Nous faisons une halte rapide à Villefranche de Conflent, magnifique cité médiévale du XIième siècle, fortifiée par Vauban quelques siècles plus tard. 

 


Après Prades, un vent violent souffle. La moto bouge peu, à priori, le poids devient un atout dans de telles conditions.



 

 

Il y a ensuite la montée du col de Puymorens où j’oublie complètement que je chevauche une Goldwing.

Non, je suis sur une moto, j’ai envie de hausser le rythme, tout simplement, et je sens la roue avant mordre avec vigueur le bitume lors des freinages appuyés, la moto se placer sans hésiter sur la trajectoire choisie, ressortir avec vigueur dans ce bruit magique pour absorber la courte ligne droite avant la prochaine épingle. La descente se révèle tout aussi réjouissante avec un châssis répondant à mes instructions. Il faut juste garder une marge de sécurité mais cela correspond en fait assez à mon style de conduite coulée.

 

Après une averse qui montre qu’un tel carénage ne protège pas que du vent, nous faisons une halte sandwich près d’une Goldwing belge avec sa remorque. Hier, c’est un groupe d’une dizaine de possesseurs de cette machine que nous avons croisé, dont l’une en version trike.



Un second plein confirme la frugalité de la moto, et ce n’est pas la moindre des surprises, d’autant que j’ai plus sollicité ce moteur, me délectant de ses accélérations dans un bruit envoûtant.
18,28 litres rajoutés pour 335 kilomètres parcourus soit 5,45 litres aux 100.

Je me sens de plus en plus à l’aise dessus et les mises sur l’angle se font avec détermination mais j’ai conscience que la faculté d’improvisation qui est le propre de la moto, n’est pas de mise ici. Il faut toujours avoir cette marge de sécurité en tête qui imprime un rythme soutenu, certes, mais sans aller au-delà d’une certaine limite pouvant mettre en difficulté.

Quant au confort, je crois que tout a été dit sur le sujet, dans les journaux dédiés à la moto. Sur un deux roues, je ne recherche pas un confort total, je me satisfais d'une position de conduite agréable, de suspensions prévenantes et d'un minimum de protection contre le vent. Avec la Goldwing, on entre dans une autre dimension et je pressens que les longues étapes doivent se faire en restant dans un état de fraicheur total.

Nous traversons Foix alors que de gros nuages noirs annoncent une fin de parcours humide. Je démarre régulièrement en seconde, l’opération peut même se faire gaz fermés sans que le moteur ne manifeste le moindre désaccord.

La route est maintenant mouillée et les (trop) nombreux ronds points qui fleurissent autour des villes m’invitent à la prudence. Je sais que ce sont des endroits souvent glissants et je ne me vois pas récupérer une dérobade de la moto d’un coup de rein.

Il reste 140 kilomètres à parcourir et c’est l’autoroute qui s’impose si nous voulons arriver avant l’heure de fermeture des bureaux électoraux. 140 km/h me semble une vitesse raisonnable ; les gouttes de pluie s’écrasent sur le pare-brise et certaines montent jusqu’à l’arête supérieure pour se jeter sur le conducteur, moi en l’occurrence. Bref, j’ai droit à un léger brumisateur alors que le déluge s’est installé dehors. Et Marie reste sèche. Cela a du bon, un grand carénage !
Malgré de fortes bourrasques, la moto bouge assez peu, ce qui confirme qu’elle est stable dans de telles conditions. 

Pau nous accueille après 880 kilomètres. Je laisse Marie et pars faire le plein. Bigre, sans passagère, je trouve presque la moto agile, comme quoi tout est relatif !

Une consommation de 6,07 litres conclut cette petite virée.

J’ai conscience d’avoir vécu un moment hors norme ce week-end avec cette moto. Elle est magnifiée par ce moteur exceptionnel tant par son velouté que par la musique enchanteresse qu’il distille dès les 2000 tours/minute franchis. Je ne m’attendais pas à ce qu’il me fasse autant vibrer, ce moulin dénué, lui, de la moindre vibration. Ce fut une sacrée expérience.

 

La seule réserve, c’est le sentiment qu’elle bride mon espace de liberté. La moto, pour moi, c’est un formidable moyen d’aller en tout lieu, avec agilité, sans que j’ai a trop me poser de questions. J’aime sa faculté à me transporter là où je le décide, quel que soit l’état de la route,son étroitesse, les obstacles présents. Avec la Goldwing, Honda a réussi un magnifique exercice de parvenir à faire oublier les kilos présents…… jusqu’à un certain point. Et, c’est là que le bât blesse. Les 400 et quelques kilos se rappellent à votre bon souvenir de temps en temps, au moment des manoeuvres, et c’est rédhibitoire pour moi.

Pourtant, je reconnais que j’ai vécu des heures de grand bonheur à son guidon, mais, même si j’avais le budget (conséquent) pour m’en payer une, ce ne serait pas l’élue de mon cœur.

Maintenant, je comprends néanmoins ceux qui craquent pour cette machine et parcourent des dizaines de milliers de kilomètres à son guidon. Elle est vraiment unique.

Elle fait vraiment partie d’un autre monde que je suis heureux d’avoir approché l’espace d’un instant.

 

PS: après réflexion, je me dis que, si j'étais riche,je remplacerais bien notre attelage actuel pour quelque chose de ce type.

Le problème du poids n'en serait plus un sur trois roues et le six cylindres doit être idéal pour tracter un tel ensemble.