Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

France-Pakistan - Demi-tour

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Tabriz, 20H40.

Que ce fut dur, ce matin, de se lever, de charger la moto et de partir en tournant le dos au soleil levant. Très dur, ce demi-tour imposé. En outre, la circulation de dingues qui m’attendait n’était pas la bienvenue. J’étais d’une humeur massacrante et j’ai traité les conducteurs fous de tous les noms d’oiseaux. Mon klaxon n’arrêtait pas de se manifester…. jusqu’à ce qu’il me lâche. Je me suis senti tout nu subitement. Ne pas avoir de klaxon ici est un sacré handicap.


Une fois quitté cette ville tentaculaire, je me suis concentré sur ma conduite et j’ai peu à peu oublié mon énorme déception. Je pensais à cette phrase bouddhiste « L’important n’est pas l’endroit où l’on va mais le chemin qui y mène » et je me disais qu’il faudrait que j’arrive à faire mien ce principe d’une grande sagesse.
« Drôle de voyage » pensais-je, qui tarde à se mettre en place, comme pour me dire que j’avais voulu aller trop vite en besogne.
Pour l’instant, je viens de garer ma moto…. contre le comptoir de la réception de l’hôtel. Ici, les solutions sont simples quand on cherche une place de parking.

Quand je quitte la ville alors que le jour se lève à peine, j’ai la ferme intention de rentrer en Turquie aujourd’hui. Que nenni, quelques obstacles vont contrarier ces plans. Arrivé à Khoy, la dernière ville avant la frontière, je tourne en rond à la recherche de panneaux indicateurs, en vain, et les renseignements glanés ça et là auprès des Iraniens sont infructueux ; il faut dire que mon accent persan n’est pas terrible, j’en conviens. Alors que je commence à craquer sous mon casque, j’aperçois un petit café et je m’y précipite.

Et, là, c’est un moment magique qui s’installe. Un homme est venu me prendre par la main pour me faire asseoir près d’un poële, me regarde longuement pendant que je bois mon thé et, alors que je me lève pour reprendre ma route, il me remet d’un geste sur mon banc, me montre mes mains bleuies par le froid et mon visage comme pour me dire : « Tu n’es pas bien, tu es fatigué, reste un peu ».


Avec son air très doux, il me rapporte une galette avec une crème nappée de miel et un deuxième thé. Je comprends qu’il a noté mon désarroi et, à sa manière, il me donne ce geste d’amour. J’en ai les larmes aux yeux.


Au moment de le quitter, je lui serre la main chaleureusement. Merci, Monsieur de passage ; merci beaucoup.

 

Iran près de la frontière Turque
Peu après, je m’engage sur une petite route de montagne déserte jusqu’à un barrage militaire qui m’interdit d’aller plus loin, sans que j’en connaisse les raisons.


Bref, un demi-tour s’impose (ça devient une habitude !), et j’arrive de nuit à Orumiyeh un peu défait, après un dernier arrêt dans un café où je reçois là encore un accueil d’une rare chaleur. Cruel paradoxe : ce pays dans lequel je me sens si bien avec ses habitants m’ordonne de quitter le territoire. Est-ce un adieu ou vais-je revenir bientôt ? Ankara détient la réponse.


Pour ne pas perdre (plus !) le moral, j’échafaude un programme ; à Ankara, Titine aura parcouru plus de 9000 kilomètres depuis le départ et je pourrais en profiter pour lui faire une petite révision et lui changer les pneus. Cela devrait être plus aisé qu’au fin fond du Pakistan ou de l’Inde…. si j’y arrive, ce dont je commence à douter.
Vraiment étrange, ce voyage. Peut-être que son vrai départ commencera à Ankara, un mois après avoir quitté Tarbes.

La frontière est dans deux kilomètres. Je m’arrête dans la station service. Le pompiste m’invite à boire le thé dans une pièce chauffée, puis m’offre le petit déjeuner, avant de refuser que je paye l’essence. C’est la dernière belle image que je garderai de ce pays si attachant.


Peu après, j’attends d’abord que la frontière iranienne ouvre et j’assiste à l’arrivée nonchalante des douaniers.
Relativité des choses: quand j'ai quitté la Grèce pour la Turquie, j'ai eu le sentiment de pénétrer en Orient; aujourd’hui, l'entrée dans ce pays me donne l'impression de retrouver l'Europe.

 

 

SanliUrfa (samedi 16 mars 2002)

Flâner. Pour la première fois depuis le début de mon voyage, je me suis surpris à flâner dans les rues de SalinUrfa ; à m’imprégner de l’atmosphère du bazar, très typique,à m’enivrer d’odeurs, de bruits. Je suis arrivé dans le parc, dominé par une forteresse, au coucher de soleil. Je suis arrivé de bonne heure aujourd’hui, et j’ai le temps de me promener.

SalinUrfa

De plus, le temps si doux est une invitation à la rêverie. Cela me change de cet hiver qui m’accompagne sans répit depuis plusieurs semaines. Ce matin, il neigeait au moment où je quittais Tatvan et j’ai eu un frisson rétrospectif en pensant au col de 2700 mètres d’altitude franchi la veille. Il était temps !

 

Ankara (18 mars 2002)

L’histoire se répète; je sors du consulat iranien. J’ai trouvé le fonctionnaire un peu plus chaleureux que la dernière fois ; c’est que nous sommes devenus de vieilles connaissances maintenant…. Mon dossier doit partir pour Téhéran et j’aurai une réponse le 27 mars. La patience doit être une vertu du voyageur.


Je me sens calme, malgré tout, même si je sais que, dans neuf jours, on pourra de nouveau m’opposer un refus. Je n’ai plus qu’à passer le plus agréablement possible ce temps qui m’est offert. D’abord une révision plus que méritée de Titine qui vient de s’enquiller 9600 kilomètres sans sourciller. Brave Transalp qui affiche tout de même 135 000 kilomètres. Peut-être pourrais-je me renseigner sur la possibilité d’obtenir un visa syrien au cas où. Enfin, la Cappadoce n’est qu’à 300 kilomètres et je pense y planter la tente et y faire quelques marches. Il faut juste que je me fasse à l’idée que mon voyage sera tout, sauf ce que j’avais prévu. C’est peut-être ça, l’essentiel de ces quatre mois, ne rien prévoir et laisser le cours de la vie s’offrir chaque jour, avec philosophie. A moi de faire que, quel qu’il soit, ce voyage soit beau.
Je me trouve étonnamment serein face à ce nouveau contretemps. C’est bien, Christian, tu progresses !

Note d'information touristique pour celles et ceux qui seraient intéressés par une telle virée. La distance Ankara-Téhéran aller-retour est de 2750 X 2= 5500 kilomètres. Si vous souhaitez accomplir ce voyage, préparez vous à admirer des montagnes variées, arides, parfois enneigées, voire très enneigées, à être caressé par un vent glacial, à passer un col à 2700 mètres, à boire des litres de thé ( que vous ne paierez que rarement), à traverser une douane atypique ( ô combien!), à vous faire peur à la vue de milliers de Paykan, à vous demander dans quelle galère vous vous êtes mis le matin et à vous dire " Quel bonheur d'être ici" l'après midi, à passer pour un martien avec sa soucoupe volante demandant une soupe dans un restaurant , à vous imaginer transporté sur une autre planète, à vous croire dans une course de stock-cars au milieu de laquelle on aurait lâché des camions, à vraiment utiliser votre klaxon, à maudire la proximité de la mosquée au moment de l'appel à la prière à 5 heures du matin et, si vous optez comme moi pour un aller-retour (très) rapide, à quelques douleurs musculaires et à des réveils difficiles; et, au final, vous vous poserez la question: " Quand est-ce que mon voyage va commencer?"

L'Iran, j'en rêve encore et je veux y retourner.

 

 

Quelques scènes de la vie en Turquie :

Dans les stations d’essence, on fait le plein bien sur, puis, la plupart du temps, on se voit offrir le thé. Pause bienvenue et un brin de discussion à la clef. Et, parfois, comme dans les restaurants, on vous verse de l’eau de cologne sur les mains.

Les vendeurs de rues, une institution ici. Dans les parcs, il y toujours un gars avec son thermos pour proposer un thé ou un vendeur de simits. Sur les trottoirs, ils pullulent ; les plus riches ont un semblant d’étalage ; souvent trois bouts de carton en font office. Les autres sont debout, avec la marchandise dans les bras. Ils vendent tout et n’importe quoi et ont pas mal de clients. Les trottoirs en deviennent plus vivants avec ces vendeurs de billets de loto, de parfum, de vêtements, de fleurs, ces cireurs de chaussures. J’ai espoir de trouver un consulat de trottoir iranien qui me délivrerait mon visa !

Les Turcs que je rencontre sont très étonnés de ma destination mais, ce qui les tracasse le plus, c’est comment je fais pour résister au froid. Et là, j’abats ma carte maîtresse en leur posant les mains sur mes poignées chauffantes. Effet garanti à 100%. Ma Titine est définitivement classée dans la catégorie des OVNI.

 

Gorëme (22 mars 2002)

Je pénètre à pas de loup dans la salle de réception de la pension. Les deux jeunes qui y travaillent sont en train de jouer du saz, un luth à long manche. Je m’assois et me laisse emporter par cette musique toute en douceur. Dehors, le temps est gris mais, dans cette petite pièce, le soleil s’est invité.


Plus tard, j’installe le casque de mon baladeur sur les oreilles d’Adnan pour lui faire écouter Les 4 saisons de Vivaldi ; et, là, je le vois qui ferme les yeux, ses doigts en mouvement pour accompagner les notes. Je le sens sous le charme de cette musique étrangère à sa culture, emporté par le rythme endiablé du violoniste. Universalité de la musique. Devant ses yeux remplis de bonheur, je lui promets de lui envoyer une copie de CD.

Cappadoce

Durant cette petite semaine, je fais la rencontre de plusieurs voyageurs au gré de mes marches dans cette région magnifique. D’abord le sympathique couple de Belges, Jessica et Pascal, au volant de leur vieux Toyota 4X4, puis Odile et Christian ; avec leur adorable petite fille qui redonnerait le sourire à n’importe quel dépressif profond, ils achèvent leur tour de la méditerranée au volant de leur camping car. Enfin, le dernier soir, j’aperçois une Honda Africa Twin devant le cyber-café ; ni une, ni deux, j’aborde Vincent qui, avec son cousin Stéphane doit se rendre en Inde. La longue soirée qui suit devant un bon repas est source de nombreux échanges.

Cappadoce

Bref, après avoir (enfin !) rencontré tous ces voyageurs, je reprends la route d’Ankara regonflé à bloc avec la douce certitude que, demain, je quitterai le consulat iranien avec un beau visa sur mon passeport.