Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

France-Pakistan - Iran

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Orumiyeh (Samedi 9 mars 2002)

Je suis dans le hall de mon premier hôtel iranien et je dois avouer que je n’ai pas encore atterri. J’ai du mal à réaliser où je me trouve.
Ce matin, départ de bonne heure selon de bonnes habitudes ! Pendant 150 kilomètres, j’ai longé le lac Van ; j’étais bien, prêt à franchir la frontière iranienne dans la journée. Puis, je me suis engagé sur une route sinueuse qui s’élevait de plus en plus. Le froid était intense à mon arrivée au sommet d’un col ; le panneau indiquait 2700 mètres.

Entre Tatvan et l'Iran

Plus loin, je compris que la route que j’avais repérée sur ma carte n’existait pas mais j’hésitais à faire demi-tour. Pas facile de rebrousser chemin quand on a déjà parcouru 100 kilomètres. Je décidai de continuer pour rejoindre un autre poste frontière plus au sud.

entre Tatvan et l'Iran
Le paysage devint extraordinaire ; des montagnes à n’en plus finir, une neige omniprésente. J’avais souvent eu des impressions de bout du monde dans le désert mais, en montagne, jamais. Aujourd’hui, ce fut le cas. Plus je m’avançais et plus j’avais le sentiment de m’enfoncer dans une chaîne montagneuse sans fin. Fabuleux et un peu angoissant en même temps. Soudain, m’apparut une image d’un autre temps, avec deux boeufs tirant une énorme charrette et son chargement de foin. J’ai roulé, roulé, roulé. S’arrêter au milieu de nulle part dans un froid glacial attisé par le vent ne m’inspirait guère. La dernière ville avant la frontière était une mare de boue assez repoussante et je décidai de sauter mon repas de midi.

 


Petite alerte : la traversée d’un tunnel, pourtant au ralenti, faillit me mettre par terre. Une énorme plaque de verglas « boursouflée » provoqua une belle embardée de ma moto et une hausse immédiate de mon rythme cardiaque.


Puis, ce fut l’arrivée dans cette douane perdue où j’ai quitté la Turquie en franchissant une énorme grille pour m’arrêter aussitôt devant une autre grille, iranienne celle-là. Un no man’s land de quatre mètres !

frontière entre Turquie et Iran
Contrairement à mes craintes, les formalités se déroulèrent dans une ambiance bon enfant. Les douaniers m’offrirent à boire, puis des friandises et discutèrent longuement avec moi.

https://maps.google.fr/

Deuxième jour en Iran. Je suis en phase d’apprentissage. J’apprends les us et coutumes des Iraniens. Je plonge dans mes quelques souvenirs d’arabe pour déchiffrer les panneaux (le persan a trouvé son alphabet dans la langue arabe lorsque l’Iran était envahi aux alentours du IX ième siècle). La gentillesse omniprésente des gens me touche ; que ce soit pour me guider lors de mes multiples errements, ou pour m’offrir un thé et un gâteau alors que j’attends le bac pour traverser le lac d’Orumiyeh.

Orumiyeh

Orumiyeh Iran

Orumiyeh Iran


Par contre, question conduite, il falloir que j’ai le cœur bien accroché pour traverser ce pays. Ils sont complètement barjots ici. Je pense que la maxime favorite doit être : « conduis comme tu le sens ». Et ce que sent le conducteur, c’est qu’il doit être devant, tout de suite, à n’importe quel prix, pour sortir d’un stationnement, pour s’engager dans un croisement, il faut être le premier. Alors, ça double à tout va, dans toutes les positions. C’est impressionnant.


Heureusement, j'ai une bonne formation en la matière: le diplôme de base avec Naples en 1981; puis Athènes en 1984 ( là, le niveau s'élève!), la même année, une formation plus longue à savoir la traversée de la Yougoslavie du nord au sud et retour ( un sacré souvenir!); Istanbul en 1988 et enfin le nec plus ultra, Le Caire en 1998 qui est un des plus grands centres de formation des candidats au suicide, heu pardon, à la conduite automobile.


En outre, les voitures sont d’une rare laideur ici. Il s’agit des Paykan, la voiture fabriquée dans le pays, qui est en fait l’ancienne Hillman Hunter anglaise des années 60. Je suis sûr que, dans les maisons, quand un enfant ne veut pas manger sa soupe, ses parents le menacent de l’emmener faire un tour en Paykan !

Orumiyeh Iran


Titine est en train d’attraper la grosse tête tellement elle est l’objet de toutes les attention lors de chaque arrêt. On en fait le tour, on commente, on examine le moindre détail (le mono amortisseur Fournales a un sacré succès), on s’extasie. Je la surprends à rougir, parfois.


Pour l’instant, je la laisse à la curiosité d’une vingtaine de personnes pendant que je m’installe à la table d’un restaurant. Le patron m’invite dans les cuisines pour choisir mon plat; d’un geste du doigt, je montre une sorte de ragoût qui mijote dans une grosse tasse en fer, mélange de viande, de pois chiches agrémenté d’une sauce. A table, le serveur me rajoute une coupe vide avec un objet ressemblant…. à une énorme soupape. Devant mon incrédulité, on me montre avec le sourire comment l’utiliser. Il sert en fait, après avoir versé le bouillon et le gras de la viande, à écraser l’ensemble que l’on mélange avec des morceaux de pain-crêpe. Etonnant et amusant pour le petit Français que je suis … de plus excellent, et bon marché (1 euro avec un soda et deux thés en accompagnement). Le nom de ce plat national : l’abkousht.

 

Abkousht
J’apprends à aimer les stations d’essence ; elles sont dans un état déplorable mais à 40 centimes de franc le litre, c’est avec un grand plaisir que je paye le pompiste.

Miyaneh : à la recherche d’un hôtel tout à l’heure, j’ai encore pu apprécier l’aide des Iraniens. Le flic à qui je me suis adressé a arrêté un taxi en lui demandant de m’emmener. Il est 20H30 et c’est maintenant le moment le plus dur. Dans la journée, j’agis, je rencontre, je discute, je vis le paysage, je pilote. Et là, soudain, tout s’arrête. Je viens de prendre mon repas, seul, dans un petit resto .Et, dans quelques minutes, je vais rejoindre ma chambre déserte ; personne avec qui partager. C’est dans ces moments là que je peux me mettre à gamberger. Pas toujours facile à vivre cette liberté totale d’un voyage en solitaire.

Cinq degrés : c’est ce qu’indique mon thermomètre au moment de prendre le guidon. L’image que j’avais d’un Iran désertique et surchauffé est en train d’en prendre un sacré coup ! Quelques heures après, dans les embouteillages monstrueux de Téhéran, je n’ai plus froid du tout ! C’est un véritable combat que de conduire dans cette capitale, peut-être plus qu’au Caire, ce qui n’est pas peu dire ! Et quand, comme moi, on ne sait pas où on va, cela ressemble à une mission impossible. Je finis, exténué, par trouver un hôtel. Demain, je vais faire ma demande de prolongation de visa.

Téhéran; mardi 12 mars 2002 : Moral à zéro. Ca va mal, je me suis vu refuser, il y a quelques heures, l’extension de mon visa. J’ai eu beau parlementer, rien n’y a fait ; les fonctionnaires ont été intransigeants. J’ai trois jours pour quitter le pays.


Je viens de consulter ma carte comme si elle allait me donner la solution à mon problème.
J’ai deux possibilités : soit je fonce vers le Pakistan, mais que la frontière est éloignée et à quoi rime cette course folle, soit je fais demi-tour et sollicite un visa de tourisme à Ankara en espérant une réponse favorable. Je suis dans une impasse.

https://maps.google.fr/