Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

Troisième partie: Honda 750 XLV, le bon percheron

J’étais allé faire un tour chez mon concessionnaire favori de l’époque. Cela faisait alors quelques semaines que j’avais vendu ma Honda 500 VTE et le manque commençait à se faire sentir.
Tel le fumeur à la recherche d’un bureau de tabac ouvert à 21 heures pour y trouver le réconfort d’une cigarette, j’étais rentré dans le magasin pour regarder quelques motos, monter dessus, bref pour oublier que j’étais redevenu un piéton.

Un réservoir rouge et noir étincelant attira mon attention. Je m’approchai de la moto, un peu fébrile. La moto de mes rêves, celle que je n’avais pu m’acheter, cinq ans auparavant, était là, posée sur sa béquille latérale.

Honda 750 XLV Plareau du Fadnoun



Je crois que ma décision était déjà prise, mais je la détaillai avec soin, cherchant le détail qui aurait pu me décourager. Peine perdue, elle paraissait neuve, malgré ses trois années ; Le compteur affichait un petit 15 000 kms. Mon cœur prit encore quelques pulsations minute.


Mon concessionnaire me proposa alors un petit essai.


Une demi-heure plus tard, je revins, enthousiaste.


J’avais trouvé ma nouvelle moto.


Je passai quand même à l’atelier demander l’avis de Richard, le mécano en qui j’avais toute confiance. Je n’ai pas entendu ses réserves, non pas sur la moto qu’il avait suivie et qu’il savait dans un état impeccable, mais sur ce modèle de la gamme Honda.
Il avait alors en mémoire mes voyages en Afrique et craignait alors que cette XLV ne soit pas à la hauteur en terme de fiabilité.
On dit bien qu’il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre. Ce jour là, j’imaginais déjà ma future moto sur les pistes africaines.
J’avais encore en tête les propos du constructeur à sa sortie : « Une moto pour vous emmener autour du monde, sans nécessiter la moindre intervention ».


Je signai donc le chèque dans la foulée, euphorique.

Honda 750 XLV

Mon premier trail, je l’emmenai très vite sur les routes. J’ai tout de suite aimé cette position en hauteur et naturelle, très reposante. Par contre, la boîte de vitesses semblait avoir été conçue chez BMW, qui était à l’époque réputée pour ses « clonk » !
Il y avait aussi ce moteur plein de vie, loin du côté feutré de ma VTE. Il se faisait entendre, le bougre, et c’était un plaisir de l’entendre vrombir entre mes jambes.
Soixante et un chevaux, cela commençait à faire du monde qui se bousculait au portillon quand j’ouvrais en grand la poignée de gaz.

Cette moto dégageait une force. J’aimais la regarder. Un cadre imposant, un cardan, un filtre à air idéalement placé à l’avant du réservoir, bien planqué derrière le tête de fourche que l’ancien proprio avait fait installer, son double allumage, son rattrapage hydraulique du jeu aux soupapes. Dans mon esprit, je n’avais plus qu’à me contenter de lui donner un peu d’essence et elle m’emmènerait là où mes rêves le décideraient .

Honda 750 XLV Ariège

Justement, avec une telle moto, un projet de voyage ne pouvait que s’installer dans mon esprit. J’avais adoré l’Algérie et la décision d’y retourner fut vite prise.

Djanet et son désert du Tassili N’Ajjer promettaient un grand voyage ; la carte Michelin 953 sortit du tiroir et resta alors à portée de main.

Honda 750 XLV

En attendant, je faisais connaissance de la belle en roulant beaucoup. Mon travail me tenait alors éloigné de ma région et les « descentes » au pays lors de week-end à rallonge se multiplièrent. Je constatais alors qu’un trail pouvait être très confortable quand, après une journée de boulot, je m’enquillais 650 kms de routes d’Auvergne et de Midi-Pyrénées, pour arriver, pas trop fatigué, en pleine nuit dans « mes » Pyrénées.

Honda 750 XLV Auvergne

Plus je roulais et plus j’appréciais le caractère de cette moto. Avec l’habitude, je parvenais à ne plus faire claquer la boîte. Les grands débattements de suspension participaient à ce sentiment de confort ; les inégalités de la route étaient effacées en douceur. Le moteur se faisait entendre, mais il ne vibrait pas.

Le mois de décembre 1990 arriva rapidement ; le voyage approchait. Prévu initialement pour être réalisé en duo, je le démarrai seul, avec du vague à l’âme.


La préparation de la moto avait été réduite : deux pneus neufs et une vidange; et vogue la galère !

Honda 750 XLV Frontière espagnole

Ma XLV 750 fut à la hauteur de mes espérances. Cinq semaines, 10 000 kms,la traversée de l'Espagne, puis du Maroc, l'arrivée en Algérie, les dunes sans fin de l'Erg Occidental, des villes dont le nom à lui seul me faisait rêver, Taguit, Beni Abbes, Timimoun, le vent de sable, la ligne droite interminable pour rejoindre In Amenas, le village d'Illizi avant les six jours de piste pour parcourir 800 kms à 15 kms/h de moyenne. Chargée comme un baudet avec deux jerricans d’essence et un d’eau, elle accepta ce traitement sans jamais manifester de sautes d’humeur, hormis un bouchon de vidange qui décida de se desserrer au sortir de cette piste infernale.

Honda 750 XLV Tassili N'Ajjer

Au retour, je tins la promesse que je lui avais faite au moment du départ : « Si tu m’emmènes à Djanet, je te baptise ».
Ainsi, je collais sur ses deux flancs le nom de « Tassili ».


Ma Honda 750 XLV était devenue unique.

Nous continuâmes à rouler beaucoup au quotidien. L’amortisseur arrière m’impressionnait ; c’était la première fois qu’il durait autant, alors que les marques japonaises n’étaient pas réputées pour la qualité de cet élément. Il y avait une assistance pneumatique qui permettait de rajouter jusqu’à quatre bars et cela était très efficace en cas de lourds chargements, ma spécialité. Elle me confortait dans l’idée que je m’en faisais : une moto surdimensionnée apte à rouler loin, longtemps, durant de très nombreuses années.



Pourtant, dans cette longue ligne droite qui se dirigeait vers Paris, je me retrouvai soudain en roue libre. Comme si la chaîne avait sauté ; mais c’était un cardan qui oeuvrait derrière …. jusqu’à ce jour là !
J’avais fini par oublier les claquements et craquements sinistres qui accompagnaient ma progression sur le plateau du Fadnoun, quelques mois auparavant ; lui, non, à priori !
Coût de la « galette », comme l’appelait Richard : près de 9200 francs en 1991, soit presque 1500 euros ! Heureusement, il trouva une casse qui en vendait une pour 150 euros.

Cet épisode ne me refroidit pas, et je préparai une nouvelle virée en Algérie. J’avais envie de revoir Tamanrasset et les montagnes du Hoggar.

En attendant le départ, je me régalais toujours autant avec ma monture. Le freinage était moyen, mais je ne freinais presque jamais. J’adorais cette facilité de conduite propre aux trails qui me permettait de rouler à un bon rythme sans jamais avoir l’impression de forcer.

J’aimais moins le moment de la vidange avec pas moins de trois bouchons (un dans le carter deux dans les deux berceaux du cadre).

Richard apprécia peu, également, le changement des chaînes de distribution, avec un moteur à rentrer au "chausse-pied".

Honda 750 XLV Port de Marseille

Fin 1991, je pris la route pour Marseille et son port où m’attendait le ferry en partance pour Tunis. J’eus, quelques kilomètres avant la cité phocéenne, une sensation étrange. Le moteur tournait bien, mais je sentais comme une faiblesse, quasi imperceptible. J’ai refusé d’y prêter attention. A tort.


La Tunisie m’accueillit une nouvelle fois et je me dirigeai rapidement vers le sud du pays .

Honda 750 XLV Tunisie

Puis, je franchis la frontière, parcourut le no man’s land avant l’entrée en Algérie. Surprise, et de taille, un militaire m’indiqua que la frontière était fermée ! Je demandai des explications et je me fis jeter sans ménagement. Je n’avais plus qu’à faire demi-tour.

Deux jours après, je tentai de nouveau ma chance et, là, miracle, je pus rentrer en Algérie!

Quelques kilomètres plus loin, un barrage militaire avec des hommes en arme, nerveux, un tank garé sur le bord de la route. J’osai demander ce qui se passait et l’on m’envoya promener.

Jusqu’à El Oued, la scène se reproduisit à plusieurs reprises. Pas très rassurant, tout ça, pour le motard solitaire, d’autant que quelques hélicoptères de l’armée survolaient la route. Je n’en menais pas large au milieu de ces militaires armés qui restaient muets lorsque je les interrogeais. Mais que se passait-il donc ?
Heureusement, j’arrivai le soir chez mes amis Algériens qui m’avaient hébergé un an plus tôt.
Ils m’apprirent qu’une caserne avait été attaquée par un groupe d’hommes qui avaient tué trois militaires et volé un stock d’armes. En fait , j’assistais en direct à la naissance des évènements sanglants qu’allait connaître l’Algérie les années suivantes.

Je décidai, malgré tout, de poursuivre ma route, mais il était dit que ce voyage serait parsemé d’embûches. Sur une longue ligne droite déserte bordée de sable, le moteur s’éteignit soudainement.

Après avoir diagnostiqué, sans beaucoup de certitude, une absence d’arrivée d’essence, j’entrepris de changer le filtre à essence, bien planqué derrière un berceau du cadre. Peine perdue, le moteur restait muet. Au loin, il me semblait distinguer quelques maisons et je commençai à pousser ma moto. Qu’elle me parut lourde, ma monture, ce jour là , sous le soleil. Quelques kilomètres et une bonne suée plus loin, j’arrivai dans un  village où, ô bonheur, se trouvait un garage . Le mécanicien écouta mes explications, comprit que ma pompe à essence ne fonctionnait plus, récupéra deux vieux fils électriques qu’il brancha directement sur la batterie et le mal était réparé ! Tout au moins ses conséquences car je compris que le boîtier électronique était en train de rendre l’âme.

La suite fut une remontée tendue vers Alger, autant à cause des barrages que par la peur d’une panne définitive . Je roulai, attentif au moindre signe de mon moteur ; à la décélération, le pot d’échappement pétaradait et je ne pouvais pas accélérer trop fort, ni dépasser les 100 km/h .


Huit cents kilomètres plus loin, j’arrivai à Alger, épuisé par tant de tension.

Honda 750 XLV Algérie

Deux jours plus tard, je foulai, plus rapidement que prévu, le sol français et, au lieu de m’arrêter chez le premier concessionnaire Honda de Marseille, comme la raison me le conseillait, je décidai de regagner Tarbes sur ma moto blessée, incapable de dépasser les 100 km/h. Elle tint le coup et s’éteignit définitivement …. cinquante mètres avant la concession!
J’étais déçu mais je ne lui en voulais pas trop ; elle ne m’avait pas laissé en rade au milieu du désert et m’avait ramené, même si cela avait été laborieux.

Un boîtier neuf fut montée et ma Titine retrouva son entrain d’antan et les routes françaises.

Honda 750 XLv Auvergne

En Auvergne, je fis la rencontre, sur le bord de la route, d’un motard qui examina, l’air sceptique, ma moto et son kilométrage conséquent, environ 80 000 kms. Il me parla de serrage du cylindre arrière qu’il avait lui même connu sur sa XLV. Comme il semblait un adepte de la conduite poignée dans le coin sur autoroute, je n’étais pas trop étonné du résultat. De mon côté, je me disais que, pendant les six jours de piste sans pouvoir dépasser les 30 km/h, mon cylindre arrière avait dû avoir très chaud, lui aussi ! Ma bonne étoile avait veillé sur moi.

Je poursuivis les allers-retours entre l’Allier et les Hautes Pyrénées et ma Honda atteignit rapidement les 95 000 kms.

A l’époque, la barre fatidique des 100 000 kms m’inquiétait un peu et je commençais à me dire que j’avais beaucoup demandé à ma fidèle moto et qu’il était peut-être temps de s’en séparer.

Avec un pincement au coeur, je la laissai, en dépôt vente, chez mon concessionnaire.

Une nouvelle page de ma vie de motard allait se tourner.

 

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