Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

Moto Guzzi V7 Stone

J'ai un souvenir très précis de la première fois où j'avais pris le guidon d'une Moto Guzzi. C'était en 1982, pendant mon service militaire à Mont de Marsan. Le soir, de temps en temps, pour m'évader un peu, j'allais faire un tour avec ma Honda 125 CG. Ce jour-là, j'étais accompagné par Robert, un copain de l'armée et il m'avait gentiment proposé d'essayer sa California 850. Il ne m'avait pas demandé si j'avais le permis moto et je ne m'étais même pas posé la question quand je m'étais installé sur sa grosse moto. Quand on est jeune, on a tendance à simplifier les choses....

Je me souviens de cet énorme couple de renversement qui faisait basculer la moto de droite à gauche à chaque coup de gaz, de cet embrayage sans aucune progressivité, de cette boîte archaïque avec laquelle il fallait composer; chaque passage de rapport nécessitait bien une bonne seconde. Mais, protégé par l'énorme pare-brise, bercé par le martèlement enivrant du gros V-twin, j'avais vécu un moment extraordinaire de ma vie (naissante) de motard.

 

 

Voilà la fameuse Moto Guzzi photographiée, quelques mois plus tard, à la concentration des Eléphants à Salzbourg

 

A l'époque, les motos de la marque italienne étaient considérées comme de grandes routières; elles étaient les rivales des BMW, même si on leur reprochait une finition un brin légère. 

C'est donc tout naturellement que j'envisageais d'en acquérir une après avoir passé mon permis gros cube un an plus tard. Moto Guzzi avait miniaturisé ses motos et proposait alors une 500 cm3 puis une 650 cm3 avec la même architecture (V-twin transversal et cardan). La vision peu ragoûtante d'une V50 d'occasion provoqua chez moi un phénomène de rejet. Et les conclusions des essais de Moto Journal, autrement plus intensifs qu'à l'heure actuelle, m'avaient également mis la puce à l'oreille. Cette moto n'était peut-être pas vraiment faite pour moi, motard au long cours aux maigres compétences en mécanique!

En 1986, j'effectuai quelques kilomètres au guidon de la NTX 650.C'était la mode des trails monocylindres et l'on commençait alors à voir des bicylindres chez les constructeurs. Moto Guzzi avait sorti son trail comme les autres constructeurs mais, manifestement, les délais de conception et de mise au point avaient été plus que réduits. Des suspensions très dures malgré le débattement, une boîte imprécise et le sentiment d'une moto inachevée, tel avait été mon sentiment après ces quelques kilomètres parcourus à son guidon sous un crachin digne de la Bretagne. Au même moment, Honda mettait sa Transalp sur le marché. La comparaison était impitoyable pour l'Italienne.

 

Voilà une photo de ce modèle à la diffusion confidentielle en France

 

 

J'ai assisté avec tristesse à une période difficile de la marque de Mandello del Lario qui me donnait le sentiment de ne pas avoir les moyens pour évoluer. J'avais encore en souvenir la Guzzi Le Mans 850, la 1000 SP, des modèles prometteurs. Moto Guzzi, c'était aussi le freinage intégral, une tenue de route réputée à l'époque où les motos japonaises ne brillaient pas dans le domaine, un cardan alors que les chaînes étaient bien moins résistantes qu'actuellement et même une boîte automatique.

 


 

 

Progressivement, la marque me donna la désagréable impression d'être figée dans le temps pendant que BMW progressait et innovait. J'avais le sentiment d'un énorme gâchis.

 

Depuis son rachat par Piaggio en 2004, la marque est revenue doucement à la vie. Tout en gardant ses spécificités, elle a proposé des motos qui me paraissaient plus abouties, avec une qualité de fabrication à la hausse. Mais, jusqu'à ce jour, je n'avais jamais eu l'occasion d'essayer une moto de la marque. Il faut dire que le concessionnaire le plus proche est à 150 kilomètres de la maison. 

Peut-être que la présentation au dernier salon de Milan d'un prototype présentant un futur trail a été à l'origine de mon envie, ce 22 mars 2018.

Je dois reconnaître que je suis un adepte du trail, depuis que j'ai commencé à en posséder un, en 1989 (Honda XLV 750). Depuis, je n'ai plus quitté cette catégorie de motos qui correspond le mieux à  ce que j'attends de mon deux roues, la polyvalence et le confort. Je profite donc de cette journée de grève nationale pour sécher la manifestation et prendre la route, direction le département du Gers voisin. La journée est froide et ensoleillée et je parcours les 150 kilomètres qui me séparent du concessionnaire le cœur léger sur des routes sinueuses propres à donner le sourire au motard; ça tourne, ça monte et ça descend, tout ce que j'aime quand je roule. Mais, en contrepartie, la moyenne n'est pas très élevée et j'arrive à la concession Patrick Salles à Lectoure quinze minutes avant la fermeture de milieu de journée.

Le jeune vendeur qui me reçoit me propose gentiment d'essayer la moto entre midi et deux. C'est très bien, cela me donnera un peu de temps pour comprendre cette moto que je sens atypique avant de m'installer dessus. C'est une V7 Stone, tout de noir vêtue, qui chauffe sur sa béquille latérale pendant que je m'équipe. En la regardant, c'est le mot simplicité qui me vient à l'esprit pour la décrire. Un moteur caractéristique avec les deux cylindres qui débordent sur les côtés, deux roues, un réservoir, une selle et aucune fioriture autour. C'est net.

Je m'installe dessus, la moto est basse. J'appuie sur le sélecteur et la première passe sans le moindre bruit. Un petit coup de gaz au ralenti provoque un léger dandinement de la moto de droite à gauche, le fameux couple de renversement propre à cette architecture mécanique. Les premiers tours de roues jusqu'à la route principale sont un peu déstabilisants; il est évident que je ne suis pas au guidon d'une moto japonaise! C'est difficile à expliquer, mais j'ai le sentiment que tout est moins feutré.  J'ai l'impression d'être en relation directe avec la mécanique. Pourtant, le moteur est loin d'être un monstre de puissance et il s'avère doux et souple mais je suis un peu perturbé lors du passage des rapports avec une connexion entre la poignée de gaz et l'injection un peu approximative; cela génère un petit à-coup que je tente de faite disparaître en gérant le relâcher du levier d'embrayage. C'est essentiellement sur les trois premiers rapports que je ressens cela. Ensuite, j'arrive à passer les 4ième, 5ième et 6ième vitesses à la volée et la boîte se montre alors sous son meilleur jour, rapide, précise et silencieuse.

 

 

Je me sens bien installé dessus, avec un guidon assez relevé et large et des repose-pieds placés assez bas et plutôt en avant, un peu comme sur ma Transalp, ce qui génère une position de conduite naturelle. A la sorte de Lectoure, je bifurque à droite pour emprunter une petite route. J'ai le sentiment que cette moto doit être à  son aise sur ce type de terrain.  Peu à peu, je m'habitue au comportement de cette Italienne si éloigné de celui que je connais. J'aime beaucoup son moteur au bruit caractéristique, il est souple, avec un caractère volontaire. Il relance bien à  la sortie des virages, mais sans aucune violence. Il n'y a pas de compte-tours sur ma machine mais je sens que le V-twin tourne à des régimes plutôt bas, ce qui me convient tout à  fait. La sixième tire assez long mais elle ne s'essouffle pas dans les montées et je la garde même dans les virages pris à 60 km/h. Ce moteur a un comportement qui me permet une conduite coulée mais pas lente pour autant.

C'est lors des traversées des villages, à faible vitesse que je me sens le moins à l'aise. C'est notamment dans cette phase assez courante dans le quotidien du motard, la réaccélération après être resté sur un filet de gaz, que je suis gêné par cet à-coup à la reprise. Comme je n'aime pas ça, je tente de l'éliminer, ou tout au moins le diminuer mais cela nécessite de la concentration et ne fonctionne pas à tous les coups, et ça gâche un peu mon plaisir. 

 

 

 

Une partie sinueuse s'offre à moi et la moto s'inscrit très naturellement dans les virages. J'apprécie beaucoup le comportement du train avant qui allie une mise sur l'angle évidente et une belle stabilité qui se rapproche de ce que je connais sur ma Transalp. On est loin de la vivacité rencontrée notamment sur les Yamaha Tracer 700 et 900 et qui m'avait rebuté. 

Le freinage s'accorde bien avec l'ensemble. Il est progressif, dénué de toute brutalité, mais efficace et rassurant.

Au niveau du confort, je craignais d'être déçu car je suis habitué aux grands débattements. Je dois reconnaître que le résultat n'est pas si mauvais. La fourche est souple et absorbe bien les chocs; derrière, c'est plus ferme et ça secoue un peu sur les revêtements fripés. Quant à la selle, elle m'a paru bien mince et je ne sais pas cela donne sur des parcours plus longs. Enfin, il y a l'absence totale de protection au vent propre à ce type de machine. Il est clair que, pour moi, l'achat d'un pare-brise est indispensable.

Le tableau de bord est minimaliste puisqu'il n'y a même pas un compte-tours. Et c'est un accessoire qui m'est indispensable. Sinon, il y a la possibilité de faire défiler différentes informations grâce à un bouton très accessible sur le commodo droit. J'ai pu ainsi voir que j'ai consommé en moyenne 4,5 litres/100 au cours de mon heure et demi d'essai.

Je m'arrête un petit moment à Lectoure pour avaler vite fait un sandwich avant de rendre la moto. Cette dernière se faufile aisément dans les ruelles et son rayon de braquage permet des demi-tours aisés. Mais il y a toujours cette absence de douceur dans la remise des gaz et ce n'est pas un détail pour moi car je rencontre cette situation tout le temps quand je roule et j'aime que la moto entre mes mains me facilite la vie.

 

 

Je ramène la moto à la concession.

Une chose est sure, elle ne ressemble à aucune autre! Elle a vraiment un caractère qui lui est propre et c'est la première fois que je ressens cela sur une moto. Aujourd'hui, même les Ducati ont perdu un peu de leur exclusivité, je m'en étais rendu compte en essayant la 950 Multistrada. Je comprends l'attachement des Guzzistes à leur monture. 

Il ne lui manque pas grand chose pour me séduire complètement. Le plus important serait de travailler sur cette connexion embrayage-boîte de vitesses et injection pour obtenir une douceur en phase avec ce moteur à la rondeur sympathique. Il est clair que les 93 mm de débattement des suspensions à l'arrière sont insuffisants pour moi et j'espère  que le prototype présenté au salon EICMA 2017 sera suivi très prochainement d'un modèle de série.

 

Le moteur de la V9 pourrait être choisi car il doit offrir un couple plus important que celui de la V7. C'est difficile de comparer mais j'ai eu le sentiment à son guidon de retrouver grosso-modo les performances de ma Transalp 600. 

 

Au final, elle a un côté très sympathique, cette petite Italienne!