Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

Brèves de voyage

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Depuis que je suis rentré dans le monde de la moto, je n'ai eu de cesse d'aller voir ailleurs au guidon de mes montures. Bien avant de les chevaucher, je les avais assimilées à de merveilleux moyens de transport. Alors que j'étais un tout jeune adolescent, elles incarnaient le voyage. Tout en m'intéressant à la compétition, suivant les courses des champions aussi bien sur piste qu'en tout-terrain, il y avait tout au fond de moi cette conviction que, le jour où je pourrais en posséder une, ce serait pour qu'elle m'emmène au delà des faubourgs de la ville, à l'extérieur de mon département et de l'autre coté des frontières. Mon cyclomoteur a joué le rôle d'initiation aux parcours de plus en plus éloignés mais c'est ma toute première moto, une 125 CG, qui fut l'élément déclencheur. Un rodage effectué en duo et avec le matériel de camping sur le porte-bagages annonça la couleur! 

Et, moins d'un an après son achat, le petit monocylindre nous fit découvrir la terre italienne, la Sicile, la Sardaigne et la Corse et même l'Afrique du Nord avec la Tunisie.

Le pli était pris et cette envie de voyage ne m'a plus jamais quitté.

Il faut dire que chacun d'entre eux m'a apporté des moments intenses de bonheur qui ne pouvaient que m'inciter à renouveler l'expérience.

Ces multiples voyages ont donné naissance à des moments un peu plus intenses que d'autres et ce sont ceux-ci que j'ai eu envie de relater au travers de petits textes que j'ai intitulés Brèves de voyage.

 

 

Ces Brèves de voyage ont été publiées dans la revue Voyages à moto pouvant être commandée à l'adresse suivante:

https://boutiquecppresse.com/anciens-numeros-voyages-a-moto.html

 

 

 

La frontière


Ma petite moto parcourt les quelques kilomètres du no man’s land entre le Maroc et l’Algérie. J’ai quitté ce matin
la ville endormie de Figuig et j’ai choisi ce poste frontière plutôt que celui situé au nord du pays car je l’espère
plus calme. Quand j’arrive, je me dis que, niveau tranquillité, c’est gagné, car je suis tout seul lorsque je m’arrête
près du petit bâtiment à côté duquel une tente berbère a été montée.  Un douanier s’approche et me prend en
charge. Nous passons dans un premier bureau où il me demande de remplir en trois exemplaires un document.
Je  ressens à ce moment-là comme une sensation étrange, celle de me lancer dans un long marathon
administratif. Ma première impression s’avère juste puisque l’homme m’emmène dans une deuxième pièce d’où il
sort, nichés au fond d’un tiroir, trois exemplaires d’un nouveau formulaire qu’il me faut compléter avec mon stylo.
Une troisième étape nous attend, c’est la déclaration de mon appareil photo, mais aussi du zoom et du flash qui
l’accompagnent.  Nous sommes seuls et je me demande si la tente n’accueille pas ses collègues en ce moment
pour une sieste réparatrice. Je reste d’un calme olympien, obéissant sans l’amorce du moindre agacement à ses
demandes multiples.  J’ai compris que je ne roulerai pas beaucoup aujourd’hui. Plutôt que la confrontation, j’opte
pour la convivialité en abordant, entre deux formalités, des sujets plus personnels comme la famille. Il a deux
enfants et répond à mes questions mais il ne dévie pas d’un iota sa trajectoire bureaucratique !  J’ai compris que
j’ai affaire à un champion hors pair dans son domaine et je ne cherche même pas à lutter. De temps en temps, je
jette un coup d’œil discret à ma montre qui égrène les minutes, puis les heures.
C’est fait ! Les formalités sont terminées. L’homme me raccompagne à ma moto et me demande, sans l’ombre
d’un sourire, de la décharger entièrement. Le soleil est haut dans le ciel et la chaleur monte d’un cran.
J’obtempère et pose, un à un, tous mes sacs sur la dalle de béton. Le douanier, avec une méticulosité
désarmante, entreprend alors de passer au crible TOUT le contenu de mes sacs. Même ma trousse à pharmacie a
droit à toute son attention. Chaque médicament est ausculté, y compris les instructions d’utilisation ! Toute colère
a disparu et c’est un grand sourire intérieur qui s’installe en moi devant un tel acharnement. Je poursuis ma
discussion dans des domaines divers tout en sachant que rien ne fera dévier cet homme de ce chemin qu’il a
décidé de tracer en voyant apparaître celui qui sera peut-être le seul voyageur à franchir cette frontière
aujourd’hui.
Enfin, sans se départir de son attitude ferme et calme à la fois, il me dit : « Tout est en règle, vous pouvez ranger
vos bagages ». Je meurs d’envie de prendre en photo l’incroyable scène autour de ma petite Honda mais ne me
risque pas à un tel acte prohibé dans ce lieu. Je remballe patiemment tout mon barda, enfile mon casque et
donne l’impulsion sur le kick pour réveiller le petit monocylindre.
La douanier soulève alors la vieille barrière cabossée en me disant, en guise d’au-revoir « Bienvenue en
Algérie ! ».
Libre comme l’air après ces cinq heures de formalités intensives, un doute me traverse l’esprit. Que serait-il
advenu s’il avait trouvé un billet de banque discrètement glissé entre les pages de mon passeport ? Il m’arrive
parfois de me poser encore la question….   
Un grand voyage ne se conçoit pas sans frontière. J’en ai connu de multiples et elles m’ont très souvent révélé
des aspects surprenants. Tension extrême, désorganisation totale, douaniers « gourmands », attente
interminable. J’ai souvent pesté contre ces endroits dont l’existence n’est que le résultat du morcellement par
certains de notre Terre pourtant unique, en de multiples territoires. Créant ainsi cette méfiance envers celui
arrivant d’une région devenue étrangère. Pourtant, je dois reconnaître que le franchissement de ces lignes
imaginaires entre deux pays participe grandement à ce sentiment si agréable d’éloignement que j’éprouve quand
je suis sur la route. A chaque passage de frontière, l’impression d’une porte qui se referme derrière moi fait partie
intégrante du plaisir de voyager.