Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

Le bonheur est dans le voyage ou une Transalp autour de la méditerranée

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France, Tunisie

Jeudi 12 mars 1998 : Une pression sur le démarreur. Le moteur de la Transalp se réveille. Ca y est ! Mon voyage peut commencer. La tension qui avait peu à peu grandi au cours de ces 6 mois de préparation s'évanouit enfin. D'un seul coup, oubliés les formalités sans fin, les petits problèmes mécaniques de dernière minute et le doute qui s'insinuait en moi face à ce voyage en solitaire qui me paraissait soudain inaccessible.

Fenêtre de café en Egypte

 

 


Les premiers kilomètres se font à un rythme hésitant, le temps de s'habituer au chargement, avec, dans le rétroviseur, le phare de la 650 SLR de Charles et Danielle qui m'accompagnent jusqu'en Tunisie. En attendant le soleil africain, c'est sous la pluie, la neige et le mistral glacial que nous atteignons Istres.

Le lendemain, l'émotion monte d'un cran lors de l'embarquement sur le port de Marseille. J'ai récupéré mon passeport, muni des trois précieux visas, deux heures avant le départ du bateau. Il était temps !
Le bateau tangue un peu, au gré de la houle, le soleil nous accompagne. Je me sens fatigué après le sprint final qui a précédé le départ. Mon cœur bat de plus en plus fort ; j'ai hâte d'arriver à Tunis et de filer plein sud.
Surprise pour notre première journée, il fait froid et nous arrivons à Kairouan, à la tombée de la nuit revêtus de nos combinaisons de pluie. D'ailleurs deux motards flics nous ont arrêtés aujourd'hui : ils voulaient discuter....... et aussi nous demander une paire de gants. Les pauvres roulent mains nues sur des BMW guère reluisantes !

La douceur de Kairouan au petit matin vaut bien le petit effort de se lever aux aurores. C'est un moment privilégié de marcher dans la ville encore endormie, où seuls les chats et quelques rares habitants sont présents ; les façades des maisons teintées de ce bleu dont les Tunisiens raffolent sont superbes sous la lumière naissante.
A 10 heures, j'ai le cœur en joie en remontant la rue principale avec ma moto ; je regarde les gens s'activer autour de nous, chacun à ses occupations, la ville entame sa journée et, nomades des temps modernes, nous partons vers de nouvelles rencontres avec cette douce incertitude du voyage.

L'île de Djerba nous accueille avec ses contrastes : des complexes hôteliers en veux tu en voilà qui défigurent la côte et le calme de l'intérieur des terres où nous passons la semaine dans la maison de Rachid. De là, nous rayonnons dans le sud du pays. D'abord le beau village de Matmata, avec ses étonnantes maisons troglodytes enterrées et ses pistes dans un décor lunaire; puis le Chott El Jerid, ancien lac salé et la surprenante vision d'un mirage, Tozeur et sa magnifique palmeraie; Tamerza, oasis de montagne tout près de la frontière algérienne; enfin, Douz et ses dunes, son parfum de désert, la rencontre avec Mohamed, homme d'une grande sagesse qui nous tient en haleine toute la soirée avec ses histoires.



Dimanche 22 mars 1998: Je me suis installé sur le mur du jardin pour profiter des derniers rayons du soleil. Devant moi, quelques enfants jouent autour des maisons, au milieu des moutons, chèvres et poules, le village est entouré d'oliviers et de palmiers, le figuier du jardin se développe de jour en jour, les fleurs aussi ; le printemps est là. La moto est prête pour le départ du lendemain ;j'ai du mal à imaginer que, dans 24 heures, je serai seul sur le sol libyen. J'ai le sentiment d'un grand saut vers l'inconnu.

 




Libye

C'est avec un pincement au cœur que je fais mes adieux à mes deux amis. Je les regarde s'éloigner plein nord ; devant moi, la frontière libyenne que je franchis en 2H30 ; le moment le plus significatif est l'installation de la plaque d'immatriculation arabe sur la moto ; la France me semble alors vraiment loin. Je parcours les premiers kilomètres au ralenti, les larmes aux yeux d'émotion. Peu de temps après, je m'arrête dans une gargote d'une saleté qui fait passer la Tunisie pour la Suisse au niveau hygiène. Le serveur a l'air étonné quand je lui demande une fourchette : il n'en a pas.C'est donc à pleines mains que je mange mon poulet, le plat national ici.
Mon premier plein me coûte 5 francs ! Soit 30 centimes le litre. Quel plaisir de voir les chiffres du volucompteur avancer lentement, très lentement pendant que l'essence coule à flot dans le réservoir.

Pour oublier mon appréhension, je roule, roule sur des routes rectilignes, désertes, un peu inhumaines. Je traverse des villages d'une tristesse inouïe, sans âme, avec des maisons, véritables cubes de parpaing gris. Il n'y a pas d'animation commerçante, pas d'étalages colorés comme dans les pays du Maghreb. De temps en temps, je croise une voiture, souvent un vieux pick-up japonais délabré. Je suis tendu, à l'écoute de ma moto ; je n'ai pas envie de tomber en panne ici.



Arrivée à Nalut et son unique hôtel; on me fait visiter 5 chambres avant d'en trouver une où la lumière fonctionne; pas de serrure à la porte ; à quoi servirait-elle, il n'y a pas de poignée non plus. L'eau chaude est en grève et seul le lit me paraît convenable ; erreur, le sommier cède dans la nuit sous le poids de mes 60 kgs ! Délabrement : c'est le mot qui me vient à l'esprit après cette première journée libyenne. Dans l'hôtel, tout semble à l'abandon et les rares personnes présentes paraissent s'ennuyer à mourir. C'est ce qui ressort de ma conversation avec un Algérien qui travaille depuis 18 ans dans la région ; désabusé, il me dit qu'il n'y a rien à faire ici.



Une deuxième journée de solitude m'attend jusqu'à Ghadamès, sur une route droite à n'en plus finir ; ce n'est pas ici que je vais user les flancs de mes pneus ! Je me mets en pilotage automatique, attentif cependant aux langues de sable qui mordent sur le bitume. Peu à peu, la chaleur s'installe, avec cet air sec du désert que j'ai souvent rencontré en Algérie.

 



A Ghadamès, je trouve un hôtel aussi triste que le précédent, mais un peu moins délabré. C'est une construction relativement récente, grande, trop grande, dont l'architecture massive me rappelle celle des pays de l'Est. Je m'y sens un peu perdu ; je suis le seul client. Ambiance.
Heureusement, je pars à la découverte de la vieille ville. Superbe ! Une grande partie est enterrée, à la recherche de la fraîcheur ; atmosphère mystérieuse, jeux de lumière. Seul regret, c'est désert. Où sont les Libyens ? Dans les maisons modernes, installées un peu plus loin. Je les retrouve, le soir, dans un petit restaurant tenu par un sympathique Tunisien. L'établissement est plein mais je passe la soirée seul. Les hommes autour de moi semblent indifférents, je ne retrouve pas la chaleur humaine omniprésente des voisins Algériens. Quel est donc ce pays ?

 

 



Mercredi 25 mars 1998: Je viens de parcourir 300 kilomètres d'affilée pour rejoindre l'axe principal Tripoli-Sabha. Une plaine aride, sans relief, quelques buissons et rien d'autre. Sauf le vent, omniprésent contre lequel j'ai lutté quatre heures durant en rappel. Usant. La circulation était nulle : deux camions croisés au kilomètre 75, un pick-up au kilomètre 225. Je me sentais tout petit, comme sur une barque au milieu de l'océan. Il n'y avait pas un signe de vie en dehors du sable qui virevoltait sur la route, me donnant l'impression de rouler dans une sorte de brume. Le soulagement à la vue de Garyat est de courte durée ; c'est une ville fantôme qui m'accueille, entourée de gravats, de carcasses de camions, d'enclos de tôle. Et, en plein centre, une mosquée neuve semble posée là comme par erreur dans cet univers hostile. Lugubre.

Je continue donc ma route jusqu'à Shwayrif où je décide de m'arrêter, inquiet de la violence du vent. Dans le café du village, je demande si je peux installer mon duvet quelque part pour passer la nuit en attendant une accalmie ; le voisin épicier surgit alors et m'annonce qu'il peut m'héberger chez lui....... contre la somme de 200 dinars ! La veille, ma chambre d'hôtel m'a coûté 5 dinars! Je suis abasourdi, j'en pleurerais d'une telle cupidité. Ecœuré, je termine mon thé, enfile mon casque et, lui lançant un regard méprisant, sors affronter les éléments déchaînés.

 


A l'énergie, je parcours les 350 kilomètres qui me séparent de la prochaine ville. Par moment, la route disparaît entièrement sous le sable en mouvement, ce sable qui frappe la visière, pénètre dans le casque. Il n'y a aucun endroit pour s'abriter.

 

 

 

Heureusement, ma brave Transalp tourne comme une horloge. " Ne t'occupe pas de moi ", semble-t-elle me dire, "je vais t'emmener à bon port ". J'arrive de nuit à Sabha après avoir évité de justesse une dune de sable et les crocs d'un molosse qui en voulait à mes mollets. Dure journée, je suis épuisé après ces 850 kilomètres de route. Le soir, avant de m'endormir, le moral n'est pas au beau fixe ; ce pays me paraît sans âme ; où est la chaleur humaine si souvent rencontrée en Tunisie, au Maroc et en Algérie ? Et la vie ?



Le lendemain, la tempête de sable toujours présente ne me permet pas de lever l'ancre. J'en profite pour marcher dans la ville. Je parcours de grandes avenues rectilignes bordées d'immeubles tristes, sans couleur. Je pars à la recherche du centre ville....... mais il n'y en a pas, pas dans le sens où on l'entend habituellement, c'est à dire avec des commerces, de l'animation. Non, seulement quelques boutiques disséminées, des cafés sordides.


Le lendemain, c'est avec plaisir que je quitte cette ville repoussoir direction Ghat. Peu à peu, la végétation se raréfie pour laisser la place au désert. Je m'arrête dans un village plein de vie et de couleurs, avec les étalages de fruits et de légumes. Enfin ! Je commençais à désespérer de trouver un peu de vie dans ce pays.Pendant mon repas, je discute longuement avec Cheik ; un sacré personnage ce malien sapé comme un milord dans son costume blanc cassé ; passionné de littérature, il me demande de lui adresser quelques livres dès mon retour en France.
Le paysage devient grandiose à l'approche de Ghat : dunes immenses, falaises rocheuses à perte de vue. Ma titine ronronne de bonheur, le compte tours calé à 5000 tours/ minute. Elle devient mon prolongement, l'harmonie entre nous deux est totale.

Sud de  la Libye

 



J'aime Ghat. J'y retrouve l'ambiance des villes du Sahara. Elle est dominée par une colline, le mont Koukemen où les italiens édifièrent un fort au début des années 40. De là haut, la vue est superbe au coucher du soleil, avec les falaises de l'Akakous au loin. Ici, j'ai l'impression d'avoir quitté la Libye, comme si le désert ne s'apprivoisait pas, restant le même indifférent au pays et au régime politique en place. Je suis à Ghat, mais j'éprouve les mêmes sensations qu'à Djanet, ville algérienne situé à 200 kilomètres à vol d'oiseau et qui m'avait tant séduit en décembre 1990. J'ai soudain le sentiment que mon voyage prend une autre dimension. Le désert m'appelle.



Dimanche matin. Je déjeune avec Mustapha, mon voisin de chambre. Il est algérien et vit depuis deux ans en Libye. Ingénieur de formation, il vend des pièces détachées de voitures, près de Tripoli pour 300 francs par mois. Il est à la recherche d'un guide pouvant l'emmener à Tamanrasset, pour revoir son frère, après 4 ans de séparation. Ses parents vivent à Alger.Il y a une telle souffrance contenue dans cet homme, je peux lire dans son regard toutes les atrocités auxquelles il a assisté. Il m'en décrit quelques-unes unes, avec pudeur, car une telle horreur peut difficilement se raconter. Il envisage éventuellement de retourner chez lui. " Je ne serais pas le premier Algérien égorgé " me dit-il avec défaitisme avant de rajouter : " Ce n'est pas la guerre chez nous, ni la guerre civile. On ne comprend pas ce qui s'y passe ; cela n'a pas de nom ". Je suis bouleversé et mon voyage me paraît soudain bien dérisoire.

Touaregs dans le désert de l'Akakous

Deux jours plus tard, je me retrouve entouré de sable et de grandes falaises de grès érodées. Mes deux compagnons Touaregs vont me faire découvrir pendant trois jours ce désert de l'Akakous qui me faisait tant rêver lorsque j'étudiais la carte d'Afrique, il y a quelques mois, dans mon petit appartement. Le résultat va au-delà de mes espérances et j'en ai le souffle coupé.

 

Préparation du thé

 

Siakou et Khamo ont en eux la sérénité des Touaregs. Tous les actes de la vie se font calmement, en harmonie avec la nature qui nous entoure : la recherche du point d'eau, le ramassage du bois si rare ici, la préparation du repas, le rituel du thé, la prière du soir si émouvante face à l'immensité du désert.

Préparation du pain


La nuit vient de s'installer. Siakou achève de pétrir la pâte de la taguella, le pain touareg et la dépose dans le sable avant de la recouvrir des braises de notre feu. Le repas mijote dans la vieille marmite noircie. Autour de nous, le silence a pris possession du lieu. Je suis heureux, simplement heureux. Les deux jours suivants, je poursuis, émerveillé, la découverte de cette extraordinaire région. De temps en temps, au pied des falaises, nous trouvons des peintures et gravures rupestres, véritable musée en plein air, témoignage de la vie dans cette région il y a plusieurs milliers d'années.
Je suis triste se quitter mes nouveaux amis après ces trois jours de bonheur qu'ils m'ont fait vivre. Je les remercie chaleureusement, avec le sentiment que nous nous reverrons bientôt.

Peinture rupestre dans le désert de l'Akakous

 

Séduit par le sud du pays, je m'attarde les jours suivants dans la région de Germa où je trouve un petit camping tenu par Ali, un jeune et sympathique Marocain. Nous discutons longuement le soir et il m'apprend beaucoup sur ce pays qui attire de nombreuses personnes du Maghreb à la recherche de meilleures conditions de vie ; le résultat n'est hélas pas à la hauteur de leurs espérances.
C'est dans ce camping que je rencontre un groupe de Français qui travaillent à Tripoli, venus visiter la région. Ils m'invitent gentiment à me joindre à eux. Je monte à bord du 4X4 de leur guide, Habib. Face à la montagne de dunes qui nous attend, il n'y a pas d'autre solution que de mettre plein gaz. Habib s'en donne à cœur joie et le moteur du 6 cylindres Toyota rugit ; autour de nous, du sable à perte de vue. Mon compagnon scrute le terrain à la recherche du meilleur passage, là où le sol n'est pas trop mou. Quelle sensation quand, arrivés au sommet d'une dune, nous basculons brusquement sur l'autre versant avec un dénivelé vertigineux. Par moment, le 4X4 semble glisser sur le sable, emporté par la vitesse. Surprise, nous arrivons soudain au lac de Gabrone, symbole de la vie en plein désert. Au cours de la journée, nous en apercevrons six, dont deux asséchés. Autour, il y a des villages abandonnés : sensation de malaise à la vue de ces maisons vides, les murs encore peints de couleur vive. Benoît m'explique que les habitants ont été expulsés de ces endroits pour aller s'installer dans un nouveau village au bord de la route où ils sont plus contrôlables. Un exemple de la démocratie populaire libyenne !

 

 

Village abandonné de Gabrone

Sabha est une halte obligatoire avant la longue étape vers Tripoli. J'en profite pour faire le plein dans l'unique station d'essence. Une file impressionnante de voitures attend son tour. Je me range sagement derrière quand un homme me fait signe de remonter la file jusqu'aux pompes. Je refuse. Il revient à la charge en m'expliquant que les touristes ne doivent pas faire la queue. Je lui réponds alors que nous sommes égaux... Dialogue de sourds. Un autre homme s'en mêle, va voir le pompiste qui me fait signe de venir. Horriblement gêné, j'obéis et m'empresse de faire le plein.
Peu de temps après, au retour d'une longue marche dans les rues de la ville, un homme m'aborde à l'entrée de l'hôtel. Quelqu'un est venu lui rapporter qu'un touriste prenait des photos de Sabha. Il ajoute que, revenu dans son pays, ce touriste pourrait donner une image négative de la Libye. J'ai envie de lui répondre qu'il faudrait peut-être la nettoyer un peu mais je n'en mène pas large. Une autre personne intervient et contrôle mon passeport (un policier en civil ?). Je me garde bien de leur montrer mon petit appareil photo à l'abri dans la poche de mon pantalon et décide de ne plus comprendre l'anglais jusqu'à ce qu'ils se découragent. L'incident terminé, je regagne ma chambre, légèrement refroidi, réalisant que je suis dans un pays où Big Brother, alias Khadafi est omniprésent par l'intermédiaire de ces dénonciations dont on m'avait déjà parlé. Je n'aimais pas cette ville mais, maintenant, je n'ai qu'une envie : la quitter au plus vite.



Je m' "enfuis " donc le lendemain, très tôt, et parcours d'une traite les 800 kilomètres qui me séparent de Tripoli.

 

J'arrive de nuit dans la capitale, à la recherche d'un hôtel ; les rares panneaux écrits en arabe ne m'aident pas beaucoup et les réponses des policiers sont du genre : " Ecoute, mon petit gars, on a autre chose à faire ". Dur après 13 heures de route ! Quelques semaines plus tard, à Damas, le motard flic abandonnera son carrefour et sa circulation pour m'emmener devant mon hôtel. Autre pays, autres mœurs !
Rencontre émouvante avec Ahmid, jeune Algérien qui a fui son pays et qui vit misérablement ici ; nous discutons longuement du drame algérien.

Le lendemain, je prends mon petit déjeuner dans la salle sordide de l'hôtel avec des gens plus tristes les uns que les autres. Tristesse, résignation, ennui, trois mots qui résument mon impression en voyant vivre les Libyens. Une certaine indifférence aussi que je retrouve un peu plus tard alors que je demande à quelques piétons de m'indiquer le chemin ; ils me plantent là, sans un regard.

Misratah : je repère un petit restaurant. Le patron m'annonce qu'il ne sert que des poulets entiers alors que, devant moi, un client est pourtant en train d'en manger une simple portion. Je comprends que je suis indésirable et sors un peu désabusé, un goût amer dans la bouche. Décidément, les seules rencontres chaleureuses, en dehors du sud du pays, ont été celles avec des étrangers, Tunisiens, Algériens, Marocains. Est ce donc le régime politique qui a rendu les gens si frileux, si méfiants ? Il est vrai que 30 ans de Khadafi doivent être plutôt lourds à digérer. Heureusement, je rencontre peu de temps après trois jeunes sur la place de la ville avec lesquels la conversation s'engage librement. " Regarde ", me dit l'un d'eux alors que la place de Misratah commence à se vider," chez toi, la vie se poursuit à la fin de la journée. Ici, nous sommes comme les poules, de retour à la maison dès que la nuit arrive. Dans ce pays, il n'y a rien à faire : juste manger, dormir et mourir. Tu verras, nos voisins Egyptiens sont plus pauvres que nous mais, là-bas, tu y trouveras la vie ". Après deux semaines de séjour, c'est la première fois qu'un Libyen me parle aussi librement de son pays (en jetant un œil à droite à gauche de temps en temps quand même !). En prison pour 3 ans pour consommation d'alcool, il me décrit le climat de violence régnant dans les geôles du pays.
Jamais au cours de mes voyages je n'ai autant ressenti un tel désœuvrement chez les habitants et cette main mise du pouvoir sur la vie des gens.

La journée du lendemain ne fait que me conforter dans cette idée. J'ai droit à 17 barrages en 800 kilomètres. Une bonne moyenne ! A chaque fois, il y a toujours un militaire plus con que les autres (en général, c'est le plus gradé, cela va de pair) qui a envie de vérifier le contenu de mon passeport. Je prends mon mal en patience, mais je pense surtout aux habitants qui subissent quotidiennement ces contrôles. Il n'y a pas vraiment de liberté d'aller et venir ici ; je pense d'ailleurs que le mot ne doit pas se trouver dans le dictionnaire libyen ; les académiciens du coin cherchent toujours la définition de ce mot étrange.
La deuxième distraction après les barrages sur cette route, ce sont.......les cadavres de chameaux avec, parfois, la voiture ou tout au moins ce qu'il en reste, qui s'est encastrée dedans. Rien de tel pour mettre une ambiance joyeuse à la journée ! J'imagine la même chose en France avec quelques carcasses de vaches en train de pourrir sur le bord des routes. Irréel !

 



Benghazi, station balnéaire, a un petit côté italien. De l'animation, de la vie ; enfin ! J'ai presque l'impression d'avoir quitté la Libye. Alors que je flâne sur les trottoirs, la montée en régime d'un 4 pattes me met en joie. C'est la première moto que je vois dans ce pays. Car, ici, il n'y a pas de deux roues en dehors de quelques rares vélos. Ce n'est pas étonnant que les villes paraissent si peu vivantes. J'apprendrai peu à peu que c'est une décision du pouvoir en place. Mes amis les motards français, quand vous trouverez l'assurance de votre moto trop chère, pensez aux pauvres Libyens qui ne peuvent assouvir leur passion, ne serait ce qu'avec un cyclomoteur.
Alors que je déguste mon repas dans un restaurant turc, je prends conscience de ma chance. Merveilleux de quitter une ville ce matin et de me retrouver, 12 heures plus tard dans un endroit complètement différent au point que j'ai l'impression d'avoir franchi une frontière. Plaisir de pouvoir porter tout le nécessaire sur cette petite moto qui devient ma compagne de route. Plaisir des rencontres, si rares en Libye, mais qui ont justement beaucoup de valeur. Plaisir de vivre à 100% Demain, cela fera 4 semaines que j'ai quitté Tarbes ; J'ai l'impression qu'il s'est écoulé 4 mois.

 


Le lendemain, je poursuis mon chemin le long de la côte avec la découverte d'une route....comment dire ....une route humaine avec des montées, des descentes et des....VIRAGES. Enfin ! Après 4000 kilomètres en ligne droite, je savoure ce tronçon sinueux, mais hyper glissant où je manque me mettre par terre à deux reprises sur un blocage de roue avant au freinage. Tout doux, Christian, la route est encore longue !

Monsieur Khadafi est partout, en photo dans tous les établissements, en peinture sur des affiches géantes devant les usines, les édifices publics. Toujours beau et souriant avec, souvent, en arrière plan, des enfants heureux et plein de foi en l'avenir. Bon courage les petits gars....

Plus je m'approche de la frontière égyptienne et plus les contacts avec la population deviennent chaleureux. Ici, l'homme me sert le thé à trois reprises et refuse d'être payé ; plus loin, dans un autre café, je deviens l'attraction numéro un ; en fait, c'est ma Transalp qui fascine ce groupe de libyens. Au moment de les quitter, je leur propose de les prendre en photo ; c'est un oui massif.......à la condition expresse d'être pris devant la moto.

 

 

Libye

 




Égypte

A la tombée de la nuit, je quitte la Libye et arrive dans les vieux bâtiments de la douane égyptienne. Tout de suite, je remarque une ambiance bon enfant qui contraste agréablement avec celle rencontrée chez les voisins. J'ai droit à une suite invraisemblable de formalités qui s'achèvent dans un bureau assez irréel : un énorme ventilateur au plafond brassant péniblement l'air surchauffé, des armoires en fer mangées par la crasse et fermées par des cadenas gigantesques, d'incroyables piles de papiers usés, jaunis, poussiéreux, rongés par le temps et les souris. Tout le mobilier semble au bord de la rupture et c'est avec prudence que je m'assois sur la chaise que l'on me présente. J'ai un petit pincement au cœur quand le douanier, l'air soupçonneux, m'ordonne d'ouvrir mon sac. Lentement, j'enlève les nombreux morceaux d'adhésif entourant mon précieux chargement. Autour de moi, six douaniers visiblement très intéressés par le contenu de mon étrange petit sac plastique. Un fou rire général vient détendre l'atmosphère lorsqu'ils découvrent mon kilo de sable, souvenir du désert de l'Akakous, à la place de la drogue escomptée. Fin du remake de Midnight Express !

Au moment de franchir la dernière barrière, j'aperçois la pleine lune au-dessus de la petite mosquée et j'y vois comme un bon présage pour la suite de mon voyage. Je démarre lentement, la mer en contrebas est magnifique, étincelante. Sans prévenir, l'émotion me gagne et je pleure à chaudes larmes sous mon casque.

Un quart d'heure plus tard, je pénètre dans la chambre du petit hôtel de Solum. Je ne suis pas très exigeant mais je suis vraiment sous le choc en découvrant une pièce d'une saleté incroyable avec deux lits en ferraille et des matelas....... indescriptibles. Dans le couloir, le lavabo sans tuyau d'évacuation permet de se laver les pieds en même temps que les mains, pratique ! Dès la lumière éteinte, j'ai droit à une course de souris sur le plancher. La fatigue est trop forte, je ne sais pas qui sortira vainqueur de l'épreuve.



Le lendemain, à l'aube, j'achève de charger ma Transalp quand j'aperçois ma première moto égyptienne, une vieille MZ chevauchée par un militaire un rien frimeur qui actionne sa sirène (!) dans le village endormi. Maintenant, j'en suis sur, j'ai vraiment quitté la Libye !



Je revis lors de cette première journée. Terminés les contrôles incessants, ils sont remplacés par des sourires, des petits signes de la main de la part des passagers des voitures surchargées que je dépasse. Une hésitation à un carrefour et quelqu'un vient spontanément à mon secours, un arrêt dans un charmant petit café à la façade jaune ocre, on m'offre le thé.

Café egyptien


J'appréhendais les conditions de route mais c'est plutôt tranquille....... jusqu'à 20 kilomètres avant Alexandrie où, soudain, la ville tentaculaire se referme sur moi. Une circulation anarchique de voitures, minibus, cars noirs de crasse, charrettes, vieilles motos Jawa et une route, que dis-je, un ersatz de route où une bosse est juste là pour cacher un énorme trou derrière, où la poussière rend le revêtement hyper glissant, où les rails de tramway semblent posés là pour jeter à terre le pauvre motard que je suis. Et, au milieu de tout cela, une foule grouillante qui bouge, gesticule, se précipite sous mes roues. Je n'en mène pas large, tendu, aux aguets, pour tenter d'anticiper une manoeuvre suicidaire et Dieu sait s'il y en a ! Quel contraste après les trois semaines du désert libyen !
Assis à la terrasse d'un café, je récupère de ce premier contact mouvementé avec ce nouveau pays. 60 millions d'habitants concentrés sur une toute petite partie du territoire, cela ne peut que donner le résultat que j'ai sous les yeux : une activité débordante, la foule, des centaines de véhicules. Je suis saoul du bruit des klaxons. Ici on klaxonne comme on respire, c'est le prolongement de soi. Il va falloir que je m'y mette pour me frayer un chemin.



Après deux jours à recharger les batteries, je quitte Alexandrie, à 5 heures du matin, avant la grosse circulation. J'ai droit à une petite frayeur qui me réveille complètement. L'ascenseur hors d'âge se bloque entre deux étages. Heureusement, il n'a qu'une porte à double battant pour toute sécurité et je m'empresse de sauter à l'étage inférieur. Vu la gueule de l'engin, je n'ai pas envie de faire le plongeon en cas de rupture mécanique.
L'autoroute m'accueille, très calme, avec juste une ou deux surprises quand survient une camionnette à contre sens ! Il ne faut jamais relâcher son attention ici. Le site des pyramides de Ghizeh est quasiment désert ; l'attentat de Louxor a laissé des traces et les touristes sont rares.

Le Caire me fascine et me fait peur en même temps ; 16 millions d'habitants, ce n'est pas rien. Je capitule sans combattre et prends la direction des oasis de l'ouest du pays. La chaleur écrasante s'installe sur cette route déserte et c'est complètement épuisé que j'arrive à Bahareyya. J'ai l'impression que mon corps a surchauffé de l'intérieur et il me faut deux heures, attablé au café du village pour retrouver un semblant de forme.
Le lendemain, je me traîne dans les rues désertes de Bahareyya. Il fait chaud, beaucoup trop chaud. C'est exceptionnel, me disent les gens du coin qui semblent souffrir aussi. Alors, je m'économise, passe la plupart du temps au café où il y a toujours quelqu'un pour engager la conversation.

Vers 16 heures, je mets cap au sud, avec l'intention de dormir dans le désert blanc, à 150 kilomètres de là. Il n'y a personne sur la route. Ma solitude devient soudain un fardeau et l'arrivée dans cet endroit insolite ne me procure pas de joie particulière. Pourtant, le paysage est étonnant avec d'énormes rochers calcaires blanchâtres, qui contrastent avec le sable environnant. Je monte la tente alors que la nuit s'installe. Je suis aussitôt assailli par des centaines de minuscules insectes volants et je bats en retraite sous la tente, à l'abri de ma moustiquaire. Il n'y a pas un souffle d'air et je suffoque. Le moral est en chute libre, mon voyage m'échappe. Au milieu de la nuit, un semblant de fraîcheur apparaît et je sors marcher. La luminosité est magnifique avec les rayons lunaires qui se reflètent sur les rochers. J'ai l'impression de fouler le sol d'une autre planète.

Bivouac dans le désert blanc

 

Désert blanc

Désert blanc

 

Après cette nuit courte et mouvementée, je pénètre au petit matin dans l'oasis de Farafra . Le pompiste m'indique qu'il est impossible de faire le plein d'essence pour cause de coupure d'électricité. C'est alors que je fais la connaissance de Josiane, une Suissesse qui tient un hôtel dans le village. Elle m'invite à prendre le petit déjeuner en sa compagnie. J'y vois comme un signe et je décide de me poser là quelque temps, afin de retrouver le fil conducteur de mon voyage qui est au point mort. Comme pour mieux me convaincre de la nécessité de rester, la tourista s'empare de moi pendant deux jours. Cela me permet de rencontrer Nicolas, architecte en voyage d'études, Evelyn, ainsi qu'un suédois, grand et mince gaillard qui se dirige vers le Soudan en vélo. Quelle santé !

 

Une nouvelle étape m'attend pour rejoindre l'oasis de Dakhla. Coïncidence, il y a un an, j'étais déjà allé à Dakhla, mais c'était de l'autre côté du continent africain, quasiment au même niveau, juste au-dessus du Tropique du Cancer. La petite route est peu fréquentée, mais variée, avec des dénivelées et des paysages changeants: dunes, falaises rocheuses et traversée de petites oasis verdoyantes.
Je fais une halte dans un petit village, aux rues en terre battue ; je m'assois contre un mur, à l'ombre. Peu à peu, quelques enfants arrivent, discrètement, souriants. Au moment où je termine mon sandwich, un homme au regard doux s'approche de moi et m'invite dans sa modeste demeure en compagnie de ses 6 enfants. Aucune discussion possible, mais il y a bien plus : des regards, des sourires, le thé que l'on partage. Comme je l'ai souvent remarqué au cours de mes voyages, ce sont les gens pauvres qui donnent le plus. Je quitte cette famille complètement ragaillardi par ce moment privilégié.

Famille Egyptienne

A Dakhla, je goûte à mon premier repas de tameyas. A partir de fèves cuisinées en ragoût, les Egyptiens confectionnent une purée qu'ils font frire en boulettes. Accompagnées d'une petite salade et de carottes, cela me coûte 2 francs et c'est délicieux. J'aime le rythme tranquille de ce village : peu de voitures remplacées ici par des vélos au style anglais qui donnent une allure très digne à celui qui pédale, par les Jawa, toujours surchargées (beaucoup possèdent d'ailleurs 4 amortisseurs) et de nombreuses charrettes tirées par des ânes qui ramènent hommes et femmes des champs le soir. Dans le café, les consommateurs jouent au domino ; le jeu débute calmement, puis s'accélère avec les pièces que les joueurs font claquer de plus en plus vite et de plus en plus fort sur la table : impressionnant à regarder et à entendre ! D'autres font une partie d'échecs en fumant la chicha (pipe à eau). Je me sens bien au contact des Egyptiens ; ils sont chaleureux mais restent discrets avec le respect de l'autre. Je retrouve leur personnalité dans leur manière de parler ; les sons sont moins agressifs que dans la région du Maghreb. La vie s'écoule paisiblement, loin de la frénésie des grandes villes du bord du Nil; Justement, demain, je quitte les oasis du désert libyque pour rejoindre Louxor.

Village egyptien au petit matin


La journée est dure à cause de la chaleur toujours aussi forte et d'une route complètement défoncée sur 150 kilomètres. Je n'en reviens d'ailleurs pas de l'extraordinaire résistance de ma monture, toujours vaillante après 10000 kilomètres parcourus depuis le départ. J'ai juste à nettoyer régulièrement le filtre à air et la chaîne toujours remplis de sable si fin qu'il s'introduit partout.

La nuit est tombée et je paresse dans le parc public, avec le temple de Louxor sous les yeux, majestueux, magnifiquement mis en valeur par l'éclairage.Une famille égyptienne pique nique à côté de moi et m'offre un jus d'orange, tout à l'heure ce fut le thé que je pris avec un militaire et plus tôt dans la matinée, un homme a traversé la moitié de la ville avec sa MZ pour m'emmener à la station d'essence. Une gentillesse toute naturelle qui donne des leçons de savoir-vivre.



La visite du temple au petit matin a une saveur particulière..... je suis seul. A croire que l'attentat perpétré il y a quelques mois a réellement eu l'effet désiré. Les touristes se font rares ici. Le site est une pure merveille, les reliefs sont mis en beauté sous la lumière rasante, le silence est juste interrompu par le chant des oiseaux.
Les rencontres se poursuivent ; d'abord avec le propriétaire d'une MZ neuve. Je lui apprends que sa moto est désormais fabriquée en Turquie ; impressionné (?) par mes connaissances en la matière, il me propose d'aller l'essayer. Non merci, sans façon, 10 jours en Egypte m'ont suffisamment démontré que l'expression "un accident est si vite arrivé " est particulièrement adaptée à ce pays où l'on conduit comme on respire c'est à dire sans vraiment réfléchir !
Peu après, le propriétaire du camping engage la conversation. Tout se passe bien, nous échangeons beaucoup d'idées. Cela se gâte quand mon interlocuteur me questionne sur ma religion et que je lui réponds : " Je ne crois pas en Dieu, mais en l'homme ". Sa réaction est immédiate ; pas de colère, plutôt un regard plein de compassion pour ma personne ; il semble me considérer comme un homme perdu. Je retiens la leçon ; je n'aborderai plus ce sujet dans un pays musulman.



Huit heures : Je n'arrive pas à me décider sur la direction à prendre. Pour le moment, je savoure mon thé pendant que le cireur de chaussures redonne un peu d'éclat à mes bottes. Mon chemin, je le choisis au moment d'aborder le carrefour, direction plein sud ; c'est en fait ma Transalp qui prend la décision et je n'ose pas la contrarier.
La circulation est plutôt périlleuse sur cette route étroite qui longe le Nil. J'aime malgré tout l'ambiance qui s'en dégage avec beaucoup de verdure, de cultures. Le fleuve, majestueux donne une grande sérénité au paysage. De temps en temps, j'aperçois des felouques. Justement, je m'arrête près de quatre d'entre elles, accostées. Les hommes à leur bord m'invitent à monter. Ils se moquent gentiment de moi quand je manque faire le plongeon en glissant sur la mince planche d'accès. Nous buvons le traditionnel thé, j'évite de penser que l'eau qui a servi à sa confection provient du fleuve ; j'espère qu'elle a bien bouilli.



Assouan est une impasse. Pour des raisons de sécurité, il n'est plus possible de descendre jusqu'à Abou-Simbel par la route. Je suis sous le charme de cette ville. Les nubiens vivent dans la région ; les femmes sont particulièrement belles, longilignes, portant de superbes vêtements colorés. Dans le quartier du souk, je déguste un plat typiquement égyptien : le kochery fait d'un mélange de lentilles, riz, nouilles, vermicelle, pois chiches, oignons frits, relevé par une sauce légèrement piquante. A la radio du resto, un homme chante un verset du Coran, autour de moi, le souk s'anime : vendeurs d'épices, de tissus, de fruits. Cette douce atmosphère m'envahit doucement ; je me sens loin, si loin de Tarbes.
Peu après, c'est un tout autre rythme que je retrouve dans l'avenue principale. Un flot continuel de véhicules divers klaxonnant à tout bout de champ se frôle, s'évite sans jamais se toucher. Cela tient parfois du miracle. Tiens, une Jawa 350 passe avec 5 personnes dessus : deux gamins sur le réservoir, le père au guidon, le petit dernier coincé entre lui et sa mère installée en amazone !

Le lendemain, très tôt, un bateau m'emmène au temple de Philaé qui a été déplacé au moment de la construction du barrage d'Assouan. Posé sur une petite île, entouré de lauriers roses, il est vraiment magnifique. Je suis seul, juste accompagné par le clapotis de l'eau et le chant des oiseaux. Je m'assois contre une colonne et je me sens transporté plusieurs milliers d'années en arrière.



" Vous ne pouvez aller plus loin tout seul ", me dit le militaire à la sortie de Louxor ; ici, nous sommes dans le fief intégriste et les autorités ont pris des mesures de " protection " pour les étrangers. Je ne pars que quelques heures plus tard, en convoi, encadré par deux 4X4 de l'armée. Rien de tel pour servir de cible, mais je n'ai pas le choix.

Quelques heures plus tard, j'aperçois la mer rouge, si convoitée par les passionnés de plongée sous-marine. Hurghada , où je passe la nuit, semble d'ailleurs avoir été uniquement construite pour tous ces touristes. Cela donne une ville plutôt moche, sans aucun charme où les prix ont tendance à s'envoler un peu trop.



Le lendemain, c'est un nouveau départ. Mon voyage se poursuit ; je n'en ai pas la maîtrise et, pourtant, je ne le subis pas. Je le reçois tel qu'il se présente, je n'en attends rien de précis et il me propose chaque jour quelque chose de nouveau, parfois surprenant, parfois merveilleux, jamais ennuyeux. Aujourd'hui, je ressens un moment de douce euphorie sur cette route déserte. J'ai l'horizon devant moi, les montagnes sur ma gauche et, à droite, derrière la mer rouge et sa superbe panoplie de bleus, les contreforts du Sinaï où je serai peut-être dans quelques jours. Le moteur de ma Transalp ronronne doucement et je me sens nomade, libre de choisir mon chemin au gré de mes envies, avec ma " maison " derrière moi. Rien d'autre n'existe alors que cet instant où tout semble soudain possible à atteindre, où une irrésistible force intérieure se manifeste. Le bonheur est en route.
C'est dans ces moments là que je comprends le choix de vie des touaregs, des gitans, des nomades en général. Ils n'habitent nulle part mais ils sont partout chez eux. Ils sont les enfants de cette terre quel que soit l'endroit où ils se trouvent. Ils sont libres. Je les envie parfois.

Auto-portrait

Ce soir, je dors au monastère ! Après 15 kilomètres sur une petite route sinueuse, je rejoins, au fond d'un cirque, le monastère Saint Paul, habité par des pères coptes. L'un d'eux me propose de passer la nuit chez eux. L'atmosphère monacale me change du rythme plus endiablé d'Hurghada.

Ca y est. Je suis au Caire. Nous sommes vendredi, le dimanche musulman, et la circulation est encore supportable mais, demain, ce sera sûrement une autre affaire. Mon petit hôtel, très sympa, est situé en plein centre ville. Autour, dès que je mets le pied dehors, c'est incroyable le nombre de jeunes Egyptiens qui ont envie de me rendre service. En fait, ce sont des rois de l'arnaque, prêts à jouer toute une comédie pour estamper le touriste.

Fatigué, fourbu, éreinté, vidé ; je ne sais quel terme utiliser pour décrire mon état après la journée du lendemain passée dans cette ville surpeuplée. Je me suis laissé transporter, absorber par cette ambiance indescriptible dans laquelle tous mes repères habituels ont été balayés.
D'abord, il y a la pollution ;elle est palpable avec les yeux qui piquent et la tête qui se fait lourde. La fumée, la poussière et le bruit sont omniprésents.
J'ai assisté à un spectacle permanent : immeubles délabrés, rues surchargées, hommes, pieds nus tirant une charrette, gamins transportant de lourdes charges, cyclistes portant d'énormes sacs de pain en équilibre sur la tête, une multitude de minuscules camionnettes Suzuki et de scooters Vespa se frayant un chemin au milieu des innombrables piétons, des bus délabrés crachant une épaisse fumée noire, bondés, qui gardent la porte de derrière ouverte pour les acrobates qui montent en courant, véhicule en marche, gendarmes dont le rôle semble se limiter à éviter les débordements et qui assistent, impuissants, à une circulation se gérant toute seule au milieu d'une cacophonie de klaxons. Et, dans le souk, cette foule incroyable, étouffante. Les odeurs également parfois agréables, souvent agressives. Ces petits ateliers noirâtres où les hommes, assis par terre, frappent, martèlent, soudent la ferraille dans un vacarme assourdissant. L'impression qu'ici, tout se fait en dehors de notre logique européenne mais que cela marche, s'enchaîne naturellement, sans énervement apparent.
Quelle claque ! J'avais beau m'y être préparé, je suis sous le choc.



27 avril 1998: J'ai, devant moi, la BMW de Daniel et Françoise, un couple franco-canadien qui vit depuis trois ans en Égypte. Nous rentrons d'une superbe virée dans la région du Fayoum, à 150 kilomètres au sud du Caire. Nous avons traversé une multitude de petits villages, reliés entre eux par des routes sinueuses et pas toujours carrossables où nous avons roulé lentement, à l'écoute de cette Égypte profonde avec une population si près physiquement de la capitale et si éloignée dans son mode de vie.

Village du Fayoum

L'impression d'un retour dans le temps. Plus tard, ce fut l'arrivée au lac du Fayoum dans un décor complètement différent : une route et du sable autour. Nous avons diminué la pression des pneus et nous sommes partis dans cette étendue vierge. Plutôt tendu pendant les premiers kilomètres avec la moto qui se dandine de manière inquiétante, j'ai peu à peu pris un énorme plaisir à rouler au milieu de cette immensité, à faire la trace.

 


J'ai encore ces images dans la tête quand, à 70 kilomètres du Caire, la nuit s'installe et l'enfer avec elle. La conduite de nuit s'apparente ici à la roulette russe. Imaginez une route à quatre voies parsemée de trous, bosses, revêtue d'une fine couche de poussière sur laquelle des voitures sans phare doublent à droite ou à gauche, roulent à contre sens ; il y a, en plus, des obstacles divers tels que des vélos sans lumière, des piétons, des ânes. Enfin, il y a le "jeu" à la mode en Égypte : je roule tous phares éteints et, avant de croiser un véhicule, je me mets en plein phare. Terrible ! C'est comme recevoir un flash en pleine figure, complètement ébloui.
Soudain, il me semble apercevoir une masse sombre devant moi ; freinage d'urgence, roue avant bloquée, je m'arrête à moins d'un mètre d'un âne qui traverse la route avec un gamin. C'est passé très, très près !
Arrivés à destination, nous nous sommes regardés tous les trois tels les rescapés d'un cataclysme en disant : " Nous sommes des survivants ! ".
C'est comme si, à la nuit tombée, le peu (très peu même) de prudence s'évanouissait complètement, comme si le cerveau était soudain débranché pour laisser la place à une totale folie collective. C'est vraiment terrible de rouler au milieu de cette circulation avec ce sentiment, qu'à tout moment, un accident peut arriver. Plus jamais je ne veux vivre çà.

Deux jours plus tard, je quitte mes nouveaux amis pour une destination qui me tient à cœur : le Sinaï. Je traverse d'abord le canal de Suez, puis j'emprunte une route côtière de laquelle j'ai une vue superbe sur une mer turquoise ; plus tard, la route s'infiltre à l'intérieur des terres, contournant les montagnes.

Café du Sinaï

 

J'arrive, au fond d'une vallée étroite, au monastère Sainte Catherine, à 1570 mètres d'altitude. J'y passe la nuit avant d'entamer sac au dos, l'ascension du mont Moïse. La montée est très belle, ponctuée par de nombreux arrêts pour admirer le paysage qui s'offre à moi ; les montagnes du Sinaï sont magnifiques avec une couleur ocre se mariant superbement avec le bleu du ciel.

Montagnes du Sinaï

 

Là haut, à 2200 mètres d'altitude, une merveilleuse nuit à la belle étoile m'attend. A plusieurs reprises, je me réveille, les yeux grand ouverts sur le plus beau toit du monde, me pinçant presque pour me persuader que je ne rêve pas.
A l'aube, j'assiste, ému, au lever de soleil dans ce lieu mythique. Un simple et grand moment qui restera à jamais gravé dans ma mémoire.



Quelques heures plus tard, je retrouve avec plaisir ma Transalp qui m'attend sagement au monastère Sainte Catherine. Je rejoins la côte est dans un décor grandiose qui me rappelle, par moment, le Tassili N'Ajer , dans le sud est algérien.

Route du Sinaï



A Dahab, j'ai l'impression d'avoir quitté l'Egypte. Il règne une atmosphère baba cool dans cette station balnéaire ; on trouve de nombreux campements munis de paillotes en bord de mer ; dans les cafés, je peux me prélasser dans des coussins en écoutant de la musique qui me ramène quelques années en arrière ( Bob Marley, Cat Stevens, Bob Dylan) et en humant les senteurs dégagées par les " cigarettes " de fabrication artisanale de mes voisins de table. Ensuite, il y a le choc des yeux : après deux mois d'abstinence visuelle à n'apercevoir les femmes qu'à travers de nombreux tissus, voilà que de multiples corps dénudés s'offrent à mon regard très sollicité. C'est un spectacle surprenant dans un pays musulman. Cette halte est aussi l'occasion pour moi d'hydrater mon corps desséché ; je loue masque, palmes et tuba et je me retrouve, émerveillé, nageant dans la célèbre mer rouge. Des centaines de poissons multicolores me passent sous le nez, l'eau est à 25 degrés.
Je rencontre au campement Mérick, un jeune Anglais en route pour l'Afrique du Sud au guidon d'une XT 660 déjà un peu fatiguée; nous entamons ensemble une petite séance de mécanique sous l'œil narquois de ma Transalp, toute fière de sa fiabilité. Quelle frimeuse, celle là ! Un peu plus tard, je rencontre Jim, un Australien d'une cinquantaine d'années en voyage depuis 18 mois ; ingénieur désigner chez Mitsubishi, il a soudain largué les amarres et quitté cette vie tranquille qu'il avait patiemment construite ; j'ai en face de moi un routard épanoui qui a, semble-t-il, trouvé son chemin.

 

 




Jordanie

5 mai 1998: Un vieux rafiot asthmatique m'emmène à Aqaba, le seul port de Jordanie. L'appel de la route a été le plus fort, ce matin, malgré une bonne fièvre. Je commençais à tourner en rond dans cette station balnéaire sans surprise. J'ai de nouveau ressenti ce besoin de bouger. Je suis impatient ; dans quelques heures, je vais découvrir un nouveau peuple, différent, et j'espère que je serai aussi séduit qu'en Égypte.

Je comprends dès le passage en douane que j'en ai fini avec la joyeuse pagaille du pays voisin. Il me faut moins d'une heure pour accomplir les formalités, les bureaux sont modernes, climatisés. La surprise continue lors de mes premiers tours de roues. Les avenues sont aérées, les conducteurs sont courtois,....... s'arrêtent au feu rouge....... et aucun coup de klaxon n'est donné. Au secours, je suis rentré en France ! Je suis presque déçu de me sentir aussi peu dépaysé.

Je file directement à Wadi Rum, petit village bédouin à la porte du désert.

Je m'arrête à l'unique restaurant où j'assiste à un étrange ballet. Des touristes arrivent en car, sont aussitôt pris en charge avec un bon repas, puis ils montent dans les pick up et 4X4 qui les emmènent faire un rapide tour de la région. Tout cela est réglé comme du papier à musique. Qui dit tourisme de masse dit prix élevés. Je négocie une petite place pour ma tente derrière le restaurant et j'abandonne cette foule un peu trop envahissante à mon goût. Rien de tel qu'une longue marche dans le désert pour me ressourcer dans ces grandes vallées sablonneuses entourées de magnifiques montagnes ocre.



Je quitte sans regret cet endroit le lendemain, direction Pétra. Quand, tout gamin, j'avais vu Tintin pénétrer dans ce site dans l'album Coke en stock, jamais je n'aurais pu imaginer qu'un tel lieu existait. Aujourd'hui, je suis à la place du jeune reporter et le résultat est à la hauteur de mes rêves. Pétra est extraordinaire. Les photos, les films que j'avais pu voir ne sont rien à côté de l'émotion qui m'a envahi quand, après deux kilomètres de marche dans cette gorge de plus en plus étroite, apparaît, majestueux, le temple de Khazneh. Il est 6 heures du matin, je suis accompagné de Ron, un Philippin rencontré la veille et nous sommes tout simplement ébahis devant la beauté de ce bâtiment. Directement taillé dans le roc, c'est en fait une véritable sculpture qu'ont réalisée les Nabatéens, il y a quelques milliers d'années.
Pendant deux jours, nous déambulons dans ce lieu grandiose, à la recherche des temples les plus inaccessibles. La roche est étonnamment variée dans ses couleurs : rose, rouge, bleu, jaune ; tout cela s'harmonise pour donner de véritables peintures naturelles. Une pure beauté.

Femme de Petra

 

La pluie, violente, la première depuis mon départ, s'abat sur Pétra le troisième jour. La tente est détrempée et je prolonge mon séjour.

Le lendemain, j'emprunte la belle et sinueuse route du roi. La pluie et le brouillard font rapidement place au soleil. A la sortie d'un virage, j'aperçois un magnifique renard traversant à petit pas la route. Je retrouve un peu de la Grèce sur ce parcours, parsemé de traversées de villages accrochés aux collines, de champs d'oliviers.

Amman, la capitale, me laisse une impression mitigée. Je la trouve un peu froide, moderne. Ce qui est époustouflant, c'est le nombre d'enseignes sur les façades des immeubles, à tel point que j'ai un mal fou à trouver celle de mon hôtel noyée dans la masse. Le lendemain, je suis sorti du lit à 7 heures ; un policier demande à ce que ma moto, sagement garée contre une des nombreuses barrières installées en bordure des trottoirs, soit dégagée au plus vite.Ca ne plaisante pas ici !
Dans les boutiques, il convient d'être vigilant sur les prix annoncés qui se font parfois à la tête du client. Les " Welcome ! " lancés à tort et à travers me laissent une impression mitigée car je réalise qu'il n'y pas grand chose derrière. J'avais pourtant entendu parler de la légendaire hospitalité des jordaniens ; je la rencontre enfin à 50 kilomètres de la frontière syrienne quand je m'arrête à un petit stand sur le bord de la route pour boire un, puis deux thés. L'homme m'offre alors un peu de nourriture avec un franc sourire. Nous échangeons quelques mots. Au moment de le quitter, la main sur le cœur, il me fait comprendre que je suis son invité. Si je devais garder un souvenir de la Jordanie, ce serait celui là.

 

 


 


Syrie

La frontière syrienne, je la passe comme une lettre à la poste, sans aucun contrôle de mon chargement.
Une bonne surprise m'attend lors des premiers kilomètres parcourus dans ce pays. Il y a des Honda 125 CG partout et cette moto fut mon premier achat motard ; avec elle, j'ai réalisé de nombreux voyages. Ici, elles sont souvent superbement décorées avec de rutilants pare-jambes, des couvertures colorées allant du réservoir à l'arrière de la selle. Je me dis que c'est bon signe, qu'un peuple qui a si bon goût ne peut pas être mauvais !

Damas m'accueille....... brutalement avec un accrochage qui a failli provoquer la première chute du voyage. Le conducteur me reproche presque de ne pas avoir klaxonné quand il m'a coupé la route ; ici, comme en Egypte, je klaxonne, donc j'existe.
Je fais halte dans un sympathique petit hôtel. Situé dans une ruelle en cul de sac, au milieu d'un vieux quartier plein de charme, il me séduit immédiatement. Son point fort, c'est sa cour intérieure ombragée, véritable havre de paix, avec des arbres, des plantes, de la verdure en plein centre de Damas. Les bruits de la ville sont quasiment inaudibles. Beaucoup de routards de toutes les nationalités se retrouvent dans cet établissement ; le bouche à oreille semble bien fonctionner.
Autour, je trouve une ville animée mais dans un certain calme ; seule la traversée du boulevard derrière l'hôtel exige des qualités sportives afin d'arriver à bon port de l'autre côté. Dans le souk alimentaire, je découvre une minuscule échoppe à thé tenue par Mahmoud et fréquentée par les gens du quartier. L'accueil est chaleureux et spontané. Cela devient mon lieu favori dans lequel je viens me détendre en compagnie des habitués ; j'en profite pour tenter d'améliorer mon arabe sans grand succès toutefois.
J'aime Damas. Est ce simplement le fait que c'est une des plus vieilles villes habitées au monde (6000 ans) qui lui donne cette atmosphère si particulière ; je ne sais pas, mais je suis surtout sensible à l'extrême gentillesse des habitants. Ce n'est pas l'endroit pour faire un séjour solitaire ; à tout bout de champ, les discussions s'engagent naturellement, sans arrière pensée mercantile, juste pour le plaisir de parler, d'échanger des idées et de boire un thé ensemble.
Ensuite, il y a la beauté des vieux quartiers de Damas. Je marche des heures durant dans des ruelles sans fin avec des bâtiments aux façades parfois si proches que la lumière ne passe plus.

Damas

 


Damas, c'est le contraste entre ces endroits calmes et ombragés et la ville moderne si proche et si bruyante où règne une circulation anarchique. Les véhicules sont typiques ; il y a les vieilles voitures américaines des années 60, les traction avant, les 203 maintenues tant bien que mal en état, les minuscules camionnettes Suzuki dont les montées en régime des 3 cylindres 2 temps me ramènent quelques années en arrière. Détail insolite, certains automobilistes ont installé un équipement qui me fait beaucoup rire ; lorsqu'ils passent la marche arrière, la musique de la lambada se déclenche !



Damas me colle à la peau. Chaque matin, je repousse mon départ au jour suivant. Je me sens bien et je sais que cette nouvelle journée sera l'occasion de nouvelles rencontres. J'aime l'ambiance du quartier de l'hôtel qui semble résister de toutes ses forces à la poussée des grandes artères et des immeubles modernes qui poussent autour. Avec Abdelkader et Alain, je vais me poser dans la splendide mosquée des Osmeyades ; contrairement à nos églises, c'est un véritable lieu de rencontre, rempli de lumière. Assis contre une colonne, nous regardons les enfants jouer pendant qu'un groupe de femmes discute et que les hommes prient.
A force de voir ma moto m'attendre sagement sur sa béquille centrale, je me décide après cinq jours à reprendre le cours de mon voyage.

Peu après Damas, alors que je demande mon chemin à un camionneur, il me répond "Viens boire le thé avec moi ". Cette gentillesse permanente des Syriens me rappelle celle que j'ai pu côtoyer à de nombreuses reprises chez les Algériens ; elle me conforte dans l'idée qu'un peuple n'a aucune ressemblance avec ceux qui le gouvernent et que rien ne vaut un voyage pour le comprendre et l'apprécier.


Je fais halte à Maaloula, étonnant village chrétien aux tons bleutés accroché à la falaise, dans lequel les habitants continuent à parler l'araméen, le langage du Christ.

 


Sur la route de Hama, je m'arrête au Crac des Chevaliers. C'est un superbe château construit au 12 ième siècle par les croisés. En visitant ce bâtiment, je me dis qu'il fallait être sacrément fou pour parcourir des milliers de kilomètres et construire une forteresse en pleine terre arabe afin d'y introduire la religion catholique.

 

 

Hama est une petite ville provinciale caractérisée par ses norias, énormes roues munies de caisses en bois recueillant l'eau de la rivière. Elles tournent lentement dans des grincements assourdissants. Hama, c'est aussi une douceur de vivre avec son jardin public, ses oiseaux, les roseaux au bord de l'eau, les ruelles ombragées, pavées aux épais murs de pierre. Le soir, les gens flânent, discutent, assis dans l'herbe. L'atmosphère respire la sérénité. Il est difficile d'imaginer qu'il y a plus de 15 ans, une tentative de coup d'état d'islamistes durs a entraîné l'intervention de l'armée et a provoqué entre 20 et 30000 morts.

Noria à Hama

 

Le lendemain, à Palmyre, je retrouve Eric, un Sud Africain déjà rencontré à Pétra et à Damas. Ensemble, nous nous promenons longuement au petit matin dans ce site grandiose dominé par un château arabe.

Palmyre



La ville elle-même est assez typique parcourue par de nombreux tricycles décorés qui donnent une touche très colorée au paysage ; surtout, il y a le bruit de leurs moteurs agonisants mais que le conducteur continue à martyriser de bon cœur. D'autres, plus gros, munis de moteurs diesel, sont laids à faire peur.

Tricycle syrien

 

 

Beaucoup de bédouins vivent dans la région ; un groupe est en train de charger des moutons dans la palmeraie ; dès qu'ils nous voient, ils nous invitent à partager le thé avec eux. Sourire, gentillesse, joie de vivre, voilà ce que je retiendrai de ce superbe pays.
Cet accueil chaleureux se poursuit deux jours plus tard à Deir Er Zor où un homme me consacre deux heures de son temps à rechercher le seul contact de mon voyage. Peine perdue, la personne n'est pas encore arrivée de France et Ahmed m'invite tout naturellement chez lui.

Le lendemain, je rencontre trois camionneurs sur la route qui longe l'Euphrate. Pendant que nous partageons le café, ils m'indiquent qu'ils vont livrer du pain en Irak. Je n'ose imaginer la situation d'un pays obligé d'importer cette alimentation de base après l'embargo qui pèse sur lui. La situation doit vraiment être dramatique.
En les quittant, je me sens heureux sur cette route, sous une belle lumière rehaussée par quelques nuages blancs. Je double des pick up chargés de passagers ; qu'ils sont beaux et expressifs, les yeux noirs des bédouines, quel plaisir lorsque leur regard se porte sur moi....... ou plutôt sur le motard étranger et ce qu'il représente.

Alep est ma dernière étape en Syrie. La ville est agréable, mais je n'y retrouve pas l'atmosphère magique de Damas. Ce qui est incroyable, c'est le nombre de métiers de rues dans cette cité ;tout se vend sur les trottoirs : chaussettes, pantalons, cassettes audio, vaisselle, cigarettes. Cela provoque des attroupements et il est parfois difficile de se frayer un chemin ; beaucoup de ces vendeurs sont des gamins qui, dès le matin, arpentent les trottoirs et proposent de cirer les chaussures. Dans les rues, la circulation est plutôt anarchique mais, l'habitude aidant, je m'y intègre assez facilement. Tout à l'heure, près de mon hôtel, j'ai assisté à une scène étonnante ; le gendarme chargé de la circulation au milieu du carrefour, a fait signe à une voiture lancée à pleine vitesse de s'arrêter ; c'était juste pour demander du feu au conducteur!

Souk d'Alep

 

 


 

Turquie

Nouveau pays, nouveau voyage. Je viens de rentrer en Turquie. Un changement me saute aussitôt aux yeux ; il y a 10 ans, j'avais été frappé par la folie des conducteurs, aujourd'hui, je les trouve prudents et même un peu mous ; j'ai parfois envie de les secouer un peu ; c'est le monde à l'envers ! J'ai envie de bouffer du kilomètre, alors, je roule, direction la Cappadoce ; il y a beaucoup de montées et je passe plusieurs cols. Au loin, j'aperçois des sommets enneigés. L'agriculture est très développée dans la région, mais il n'y a pas beaucoup de mécanisation. Ainsi, il n'est pas rare de voir des dizaines de femmes en train de travailler dans les champs ; les hommes, eux, sont absents ou bien semblent encadrer le groupe ; il y a encore pas mal de travail pour la libération de la femme en Turquie. Pour transporter les légumes ramassés dans les champs, il y a les tracteurs ou....... le side car Jawa ; j'en suis un pendant quelques kilomètres ; il transporte un chargement incroyable dans le panier. J'installe ma tente à Göreme, dans un camping très calme où je rencontre un couple de hollandais qui vient de faire le même voyage que moi en 4X4 Toyota ; la discussion se prolonge tard, à échanger nos impressions respectives.



C'est un véritable déluge qui s'abat sur moi alors que je rentre d'une virée dans la région. Des torrents de boue traversent les routes et j'arrive frigorifié au camping où je change mes vêtements détrempés sous l'œil indifférent de mes nouveaux voisins, un couple de hollandais en train de siroter son apéritif à l'abri de l'auvent de la caravane. C'est mon premier contact avec l'égoïsme européen. Jemal, le gardien du camping vient me chercher pour partager son repas, puis me propose une partie de cartes qui se prolonge tard dans la nuit ; mes connaissances en turc sont très limitées mais nous arrivons à nous comprendre malgré tout.

 

Ce que je retiendrai de ce voyage, ce sont ces rencontres avec les Mustapha, Ali, Hans, Ahmed, Eric, Siakou, Khamo et tous ceux dont je ne connais pas le nom, ces personnes qui m'ont offert un court moment de leur vie. Ils sont autrement plus importants que tous les paysages, tous les sites visités. Ils ont construit mon voyage.



Je poursuis ma route dans des paysages de montagne, s'il n'y avait pas la vision d'un minaret, d'une charrette tirée par un cheval, je pourrais me croire en Autriche. Le nombre de station d'essence est étonnant ; elles pullulent, sont plus belles les unes que les autres, je me demande comment ils arrivent à les rentabiliser. J'arrive à Pamukkale, célèbre en Turquie pour ses vasques blanches qui ont été formées au fil des siècles par des sources chaudes chargées de sels calcaires. Je suis aussitôt assailli par des rabatteurs en mobylette qui veulent m'emmener dans l'hôtel ou le camping où ils percevront leur commission. Autour de moi, des cars de touristes, des boutiques de souvenirs. Je préfère rebrousser chemin et file plein sud, 150 kilomètres plus loin, je rentre dans le camping Anatolia à Koycegiz. C'est beaucoup plus calme ici, juste fréquenté par quelques allemands.
Un détail me fait sourire : ce sont les poubelles différentes pour le plastique, le verre, les canettes en aluminium. Cela semble faire plaisir à mes voisins germaniques très écologiques dans l'âme. J'imagine aisément ce que deviennent ces poubelles par la suite ;direction la même décharge.
Je passe deux jours de farniente dans cette tranquille station balnéaire. Le soir, avant de m'endormir, je revis dans ma tête ces 3 derniers mois; il y a eu une telle intensité dans ce voyage que j'arrive à passer en revue chaque journée sans en oublier une et c'est l'esprit rempli de souvenirs que je trouve le sommeil.
Le lendemain, j'ai la confirmation de mon observation écologique ; l'homme d'entretien vide consciencieusement chaque poubelle dans un unique sac.......
La date du retour approche et j'entame ma remontée sur la France. Je traverse le détroit des Dardanelles où je suis surpris d'apercevoir deux sous-marins suivis par une dizaine de vedettes militaires.

 




Grèce

Entre les douanes turque et grecque, il y a un portique sous lequel il faut passer afin de désinfecter le véhicule ! Heureusement, il ne se déclenche pas quand je le franchis ; je n'ai pas de combinaison de pluie sur moi !
Cela me fait une drôle d'impression de me retrouver en Europe après ce petit tour de la Méditerranée. Les kilomètres défilent, je suis bien. A la sortie de Véria, la journée touche à sa fin, mais, aujourd'hui, j'ai la boulimie des kilomètres. Alors, j'attaque la route des cols qui mène aux Météores.Avec ma Transalp, nous attaquons avec bonheur cette route sinueuse. Les descentes vertigineuses succèdent aux montées, la forêt est magnifique sous le soleil couchant. Au fil des kilomètres, malgré la fatigue accumulée tout au long de la journée, j'accélère le rythme ; les freinages se font de plus en plus appuyés, j'oublie mon chargement. Moment rare où l'on fait totalement corps avec sa moto. Les virages s'enchaînent naturellement, le moteur vrombit de plaisir. Quand j'arrive, à la tombée de la nuit, dans le village des Météores, j'ai conscience d'avoir vécu un moment magique, une sorte d'état de grâce ; avec le sentiment d'" écrire " ce morceau de route. 2 heures de pur bonheur.
J'ai droit à une surprise à mon arrivée à Igoumenitsa, où je dois prendre le bateau pour l'Italie ; les motards grecs ont organisé une grande fête en mon honneur. En fait, je tombe pile sur la concentration motarde annuelle. Si, comme dans les concentres françaises, on remet une coupe à l'équipage ayant parcouru le plus de kilomètres, je crois, qu'avec ma Transalp, on a décroché le gros lot. Sur le questionnaire à remplir à l'entrée, j'ai écrit 18000 kilomètres. Mais, nous serons loin au moment de la remise des récompenses.

 

 

La traversée en bateau est longue et ennuyeuse ; elle se termine par l'arrivée dans la lagune de Venise. La pluie m'accompagne en Italie et je m'empresse de rejoindre la côte d'azur pour me reposer chez mon frangin.
Enfin, c'est la dernière étape que je prolonge en empruntant toutes les petites routes qui s'offrent à moi ; résultat, je double le kilométrage entre Antibes et Tarbes !
Après ces 14 semaines de liberté, mon appartement ressemble à une prison. Vite, un prochain projet de voyage !

 

 




Renseignements pratiques

* Formalités : en dehors du visa jordanien qu'il est possible de se procurer à la frontière, il convient de demander les visas libyen, égyptien et syrien avant le départ. Les formalités par correspondance ne sont pas évidentes si vous n'habitez pas dans une grande ville où se trouvent les différents consulats (nécessité de faire traduire son passeport en arabe). Pour ma part, j'ai fini par faire appel au Centre de Culture et d'Information sur le Monde Arabe, 13 rue Savournin à Marseille ; Madame Roger, la responsable, est très efficace et très accueillante.

Le carnet de passage en douane est le passeport de la moto. Il est fourni par l'Automobile Club de France. Le problème est qu'une caution doit être déposée pendant toute la durée du voyage, somme qui vous est rendue si l'on justifie avoir ramené la moto sur le territoire français (montant calculé en fonction de la valeur du véhicule ; 25000 francs dans mon cas pour une moto qui n'est plus cotée à l'Argus).

Libye : le coût de la vie y est peu élevé (essence, nourriture, logement), sauf en ce qui concerne les excursions dans le désert de l'Akakous (guide obligatoire) qui reviennent à un peu plus de 400 francs par jour.
Il est impératif de faire tamponner son passeport dans les 7 jours qui suivent l'entrée sur le territoire libyen.
Prévoir un véhicule fiable vu le faible nombre de garages et l'état du parc automobile ; une bonne assistance peut s'avérer nécessaire. L'autonomie doit être de 400 kilomètres minimum. Tout est écrit en arabe et un rapide apprentissage de cette langue peut servir d'autant que beaucoup de libyens ne parlent ni français, ni anglais.
Les conditions de voyage y sont plus difficiles qu'en Egypte, Jordanie et Syrie, pays plus ouverts au tourisme, mais, si vous aimez les grandes étendues désertiques, n'hésitez pas ; le sud de la Libye est vraiment extraordinaire.
Peu avant la frontière libyenne, de nombreuses personnes proposent de changer des dinars à des taux très intéressants (Un dinar pour deux francs) .
Avant mon départ, j'ai trouvé un guide sur la Libye édité par Jacques Gandini, 11 Grand Rue, 30420 Calvisson. Il me paraît surtout adapté pour ceux qui souhaitent sortir des routes principales (beaucoup d'indications sur des itinéraires avec mention des points GPS).

Egypte, Jordanie, Syrie : j'ai emporté le guide du routard pour ces trois pays ; il est très pratique mais ne pas hésiter à se laisser guider par son instinct et par les circonstances du voyage. On est rarement déçu.

Frontières : savoir faire preuve de patience mais, globalement, je n'y ai pas rencontré de gros problèmes.

Coût : contrairement à ce que l'on pourrait croire, un tel voyage ne revient pas excessivement cher si l'on fréquente des restaurants et des hôtels modestes.
Coût total
Coût total Nourriture 2670 Frs
Essence 2250 Frs
Logement 2850 Frs
Douanes 1850 Frs
Bateau 2700 Frs
Divers 3470 Frs
Préparation de la moto (pneus, chambre à air, kit chaîne, plaquettes de freins, bougies, câbles, filtre à air neufs) 3500 Frs
Visas 500 Frs

Un peu plus de 20000 francs pour 14 semaines de bonheur, ce n'est pas cher payé.

 


Moto

Je n'ai pas grand chose à dire. Elle a parcouru un peu plus de 20000 kilomètres sans l'ombre d'un problème. Je me contentais de vérifier régulièrement la chaîne (j'avais un pinceau qui s'est avéré très utile pour la débarrasser du sable avec un peu de gas oil), le filtre à air ( j'en avais installé un de marque KN très pratique car facilement nettoyable) et la batterie qui se vidait sous l'effet des fortes chaleurs. En résumé, la Transalp, c'est du béton. Je m'en doutais un peu, j'avais revendu la précédente quelques mois avant le départ ; elle totalisait alors 178 000 kilomètres .
Un petit mot sur mon équipement Bottelin Dumoulin que j'utilise depuis bientôt 10 ans (porte bagages, sacoches et jerricans) ; il fait preuve d'une résistance peu commune malgré des chargements importants et des conditions de route difficiles.
Remerciements

Merci à mon concessionnaire Honda Top Moto de Tarbes pour la remise accordée sur les pièces, à Bottelin Dumoulin qui m'a offert un top case , à ma famille et à mes amis pour leur soutien.


Conclusion

Voyager apporte un extraordinaire sentiment de bonheur. Partir, c'est aller à la découverte des hommes et de leur pays avec le lot quotidien de surprises, d'incertitudes, de rencontres. Surtout, il n'y a jamais d'ennui dans un tel parcours et j'ai eu la délicieuse sensation de vivre à 100%
Si l'envie de partir vous titille l'esprit, n'hésitez pas, lancez vous, vous ne le regretterez pas.