Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

Voyage à Djanet

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Depuis quelques années, j’ai mal au cœur quand des informations concernant l’Algérie me parviennent. Je n’entends que les mots violence, attentat, massacre. J’ai du mal à imaginer que ce magnifique pays qui m’a accueilli à quatre reprises ( 1985, 1988, 1990, 1991) ait pu connaître une telle escalade dans l’horreur. En effet, au cours de mes voyages, j’avais été touché par une gentillesse permanente rare, un respect de l’autre ; il m’est impossible de compter le nombre d’invitations émanant des habitants de ce pays, avec toujours un désintéressement total.
Il y a quelques semaines, j’ai retrouvé, au fond d’un tiroir, le carnet de route d’un voyage réalisé fin 1990. J’ai pensé qu’il était bon de présenter ce pays tel qu’il est réellement et non tel qu’il a été transformé par l’action de barbares minoritaires qui, sous couvert de religion, ont décidé de mettre en place une violence inacceptable.

J’espère qu’à travers ce récit, je parviendrai à vous faire vivre par procuration la beauté de ce pays, beauté de ses fabuleux paysages mais surtout l’extrême gentillesse des Algériens.
J’espère de tout cœur que ce pays aura la force de se relever prochainement.

Arbre du plateau du Fadnoun

 







 

1/ L'ENVOL


Vendredi 30 novembre 1990 : Enfin une sortie du travail remplie de promesses. Ma Honda 750 XLV m’attend sagement depuis le début de la journée sur le trottoir, chargée comme une mule.

 

Avec la bénédiction de mon directeur, je pars une demi-heure plus tôt en prévision du mauvais temps sur la RN 89. Petit signe de la main aux quelques collègues de travail venus assister au départ de mon bureau. Enfin, la route....

En montant sur Pongibaud, je réalise que le désert et sa chaleur sont encore loin. La neige, le brouillard et le froid réunis me font comprendre que l’étape devra se faire à l’énergie. De véritables bourrasques se mettent de la partie en arrivant à Lacueille.La volonté prend le relais du corps qui crie grâce et j’arrive chez l’oncle et la tante, en Corrèze, transi.

La soupe réparatrice et le pain de seigle, les yeux lourds, le corps pesant et douloureux, un bain brûlant et enfin, le sommeil profond.

Le lendemain, la route est longue et froide, sous un beau soleil cependant .Deux moments forts : la vue du petit étang dans le Gers. Depuis plus d’un an, il s’était progressivement asséché pour ne devenir qu’une misérable flaque. Je le retrouve plein comme à ses plus beaux jours. Cela me réchauffe le cœur. Plus tard, quelle émotion dans la dernière ligne droite avant Tarbes lorsque j’aperçois les Pyrénées, mes Pyrénées sous un superbe manteau blanc, avec une légère brume qui les rend plus belles encore. Enfin, ce sont les retrouvailles avec la famille.

Deux jours plus tard, je quitte la gorge serrée la maison familiale pour entamer mon premier voyage en solitaire. Le continent africain est encore loin et je bouffe du kilomètre sur le territoire espagnol. J’arrive dans un camping très clean près de Bénidorm. J’installe ma petite tente près de magnifiques caravanes ; tout le monde possède son antenne de télévision et, relation de cause à effet (?), l’accueil est froid et distant. Il faut dire que nous faisons un peu tâche, ma moto et moi, dans cet environnement où le désordre et la saleté semblent définitivement bannis. Je l’ai encouragé ma petite Honda, aujourd’hui, en lui demandant d’être à la hauteur pour compenser mes faiblesses. C’est son premier grand voyage et je sais que, comme avec mes précédentes motos, une complicité va s’établir au fil du voyage. Elle deviendra beaucoup plus qu’une masse de métal de 200 kilos. Je lui fais confiance pour m’emmener jusqu’au bout de mon périple. Et, au retour, je lui donnerai un nom que j’inscrirai sur ses deux cache-cylindres : TASSILI. Je n’en suis pas encore là.

Camping d’Alméria : à dix mètres de là, le doux bruit des vagues couvre celui beaucoup moins agréable des voitures qui passent sur la route côtière au dessus. J’ai le sentiment de rentrer enfin dans mon voyage. Cela a commencé ce matin lorsque je me suis arrêté sur le bord de la route. Une personne qui travaillait dans un atelier voisin est venu me voir. J’ai longuement discuté avec cet Algérien chaleureux et sensible. Puis, peu avant Alméria, j’ai traversé un paysage de western où j’aurais été à moitié étonné de voir surgir des cow boys à la poursuite d’un groupe d’indiens.

Heather et Michael, un sympathique couple de Nouvelle Zélande me propose de passer la soirée ensemble. Serrés dans leur petit camping car, nous refaisons le monde et rêvons de voyages lointains jusqu'à tard dans la nuit. Magie de ces rencontres spontanées qui naissent au fil des voyages.

 


2 / PREMIERS PAS EN AFRIQUE
La moto est garée dans la cale du bateau ; j’ai veillé à ce qu’elle soit bien attachée pour la retrouver en pleine forme sur le continent africain dans quelques heures.

 

J’entame la discussion avec Valentino, un motard italien, solitaire comme moi, en partance pour le Niger. Dès le débarquement à Mélilla, nous nous dirigeons vers la frontière à la nuit tombée. L’ambiance est sordide ; il règne dans cet endroit un malaise pesant, avec des fonctionnaires au caractère très changeant et une faune étrange qui ne cesse de roder autour des bâtiments de la douane. A 23 heures, nous nous retrouvons enfin dans le seul hôtel n’affichant pas complet dans la ville de Nador.

Dans notre chambre, les langues se délient devant un bon café et quelques barres de blé complet tartinées de miel des Pyrénées ( quel régal !), et chacun se dévoile racontant les raisons de ce long voyage en solitaire. Mon compagnon, après deux années sur les routes comme routier international, a pris conscience de l’absurdité de sa vie ; esclave de son travail, il a peu à peu perdu de vue ses amis, sa famille. Il vient de tout plaquer et espère que ce voyage lui permettra de retrouver un sens à sa vie.

Je le quitte le lendemain et, sous une route détrempée et boueuse, j’entame mes premiers kilomètres sur le sol marocain. A la sortie d’Oujda, j’emprunte un étroit ruban de goudron dans un paysage lunaire : caillasse à perte de vue avec quelques rares parcelles de verdure. De temps en temps, j’aperçois un jeune berger gardant son troupeau de moutons ou de chèvres dans ce paysage de désolation.

Soudain, je dépasse un étrange véhicule : un tandem traînant une remorque. L’arrêt s’impose et je fais la connaissance d’un couple de Californiens en route pour le Kenya !

 

Peu après, je dépanne une famille marocaine en lui donnant un peu d’essence. Cent kilomètres plus loin, c’est au tour de mon moteur de s’éteindre. Le soleil est sur le point de se coucher et la circulation est nulle.

Le froid s’installe attisé par un vent glacial. L’endroit devient lugubre. Heureusement, un automobiliste vient à mon secours en siphonnant un peu de carburant dans le réservoir de sa voiture et me permet de rejoindre Bouarfa. Je me sens bien alors que je dévore mes côtes de mouton bercé par la musique arabe diffusée par la radio du petit restaurant du village ; la journée a été éprouvante mais elle m’a permis de rentrer vraiment dans mon voyage. Demain, si tout va bien, je pénétrerai pour la troisième fois en Algérie.

 

Bouarfa

 

 

Taghit : je me lève, paisible. Le camping est calme. Dix mètres derrière moi, de superbes dunes se dressent ; c’est le début du grand erg occidental. Hier, la plongée vers Taghit fut un moment fort sous le soleil couchant qui embrasait les couleurs ocre du village blotti au pied de ces magnifiques dunes. Je me pose une journée dans ce petit coin de paradis en compagnie de deux Belges en partance pour le Niger.

 

 

La veille, le passage de la frontière algérienne s’est déroulé en quatre heures ; il y a du progrès dans l’air, en 1988, cinq heures avaient été nécessaires alors que j’étais la seule personne à me présenter dans ce poste perdu !

 

 

 


3 / L'ERG OCCIDENTAL

Lundi 10 décembre 1990. Après presque 300 kilomètres d’une traite, je me repose un peu sur le bord de la route.

Région de l'Erg occidental

Ce matin, le réveil a été laborieux ; le thermomètre avoisinait 0 degré et sortir du duvet n’a pas été une mince affaire. Pour la première fois, je me suis senti en phase avec mon voyage. Je ne faisais qu’un avec ma moto, la route, le paysage qui m’entourait. Les kilomètres ont défilé comme dans un rêve au milieu de cette immensité désertique et aride bordée des majestueuses dunes de l’erg occidental sur ma gauche. Instant de bonheur. J’ai parfois l’impression d’appartenir à la famille des routiers ; ils me font tous un petit signe de la main, un appel de phare avant de me croiser et n’hésitent pas à s’arrêter pour me demander si tout va bien. Comme eux, je suis seul avec mon véhicule face au ruban de goudron. A la station d’essence, l’un d’eux est venu discuter avec moi pour me renseigner sur l’état de la route.

 

 

 

Le soir, au camping de Timimoun, je rencontre un couple incroyable. Il est Irlandais, elle est belle et Hollandaise. Ils possèdent une Méhari 4X4 qu’ils ont aménagée en camping-car ! Cela fait 18 ans qu’ils voyagent avec quelques périodes d’arrêt pour gagner leur vie. Ils n’ont aucune adresse, aucun domicile fixe. Leur voiture est leur maison. Je n’ai lu sur leurs visages que gentillesse et bonté. Terence est journaliste et il envoie des articles de temps en temps. Ce n’est pas le première fois que je rencontre des personnes qui ont quitté leur domicile pour une longue période. Un jour, il faudra que je largue les amarres, comme eux afin de vraiment toucher du doigt cette vie de routard. Cinq semaines ne suffisent pas pour enlever totalement la vie quotidienne de son esprit. Oui, partir, sans avoir à calculer son itinéraire et ses temps d’arrêt. Pouvoir se poser plusieurs semaines dans un endroit qui plaît. Oublier la montre, le calendrier. Vivre.

Le lendemain, je me promène longuement dans les rues de Timimoun. On l’appelle l’oasis rouge car les constructions traditionnelles sont faites de toub, briques d’argile séchées au soleil, ce qui leur donne cette couleur si caractéristique. Je suis étonné par le nombre élevé de noirs africains. Il faut préciser que, pendant longtemps, Timimoun était réputée pour.... son marché d’esclaves en provenance du Mali et du Niger et que l’esclavage n’a été aboli en Algérie qu’en 1912. Peu après, je m’en vais visiter les alentours de la ville près d’un lac asséché où je ramasse quelques roses des sables.

Timimoun


 

4 / RETOUR A GHARDAÏA

Je décide ensuite de rallier directement Ghardaïa sans faire escale à El Goléa. Cette ville me laisse de trop mauvais souvenirs ; c’est là que quelques voleurs avaient brutalement interrompu mon voyage, il y trois ans. Sur les 100 premiers kilomètres, le route est étroite, fréquemment remplacée par une piste dans un état variable. La prudence est de rigueur. Vers midi, je m’arrête pour grignoter. Une demi-heure plus tard, au moment de repartir, je réalise soudain que je suis vraiment seul, que pas un véhicule n’est passé pendant cette pause déjeuner. Une impression étrange m’envahit.

Plus tard, le vent se lève et m’oblige à de fréquentes corrections de cap. L’arrivée à El Goléa me laisse un goût amer et je me contente de faire un rapide arrêt essence. A la sortie de la ville, le vent se renforce et frappe avec violence le flanc gauche de la moto. Plus gênant, de nombreuses langues de sable recouvrent certains secteurs de la route, ; je les aperçois souvent tardivement car la route est constamment balayée par le vent de sable. Je m’offre quelques chaleurs lors de belles embardées dans ces passages difficiles.

Peu à peu, les chansons que je fredonnais sous mon casque depuis ce matin se taisent pour laisser la place à l’idée fixe de l’arrivée à Ghardaïa. C’est dans un état second que je pénètre dans cette très belle ville de la région du M’zab. Je m’empresse de monter ma tente, me précipite dans le premier restaurant pour un rapide repas et m’engouffre dans mon duvet à la recherche d’un sommeil réparateur. Avant de m’endormir, je réalise que depuis mon départ de France, je mange peu et n’éprouve pas de besoin particulier. Petit déjeuner souvent succinct, repas de midi remplacé par une orange ou une céréale de blé complet, repas du soir léger. Par contre, ces repas sont appréciés à leur juste valeur ; et je n’ai pas l’impression de m’affaiblir.

C’est avec un grand plaisir que je retrouve Ghardaïa après une première visite en 1985. En fait, il s’agit de cinq cités accrochées aux collines. J’aime me perdre dans les dédales de ruelles entourées de maisons aux tons bleutés. Il y règne une atmosphère mystérieuse et il n’est pas rare d’être abordé par un habitant mozabite qui vous fait découvrir sa ville et vous explique l’importance d’une grande rigueur religieuse. Ce sont en effet des islamistes très conservateurs et ils sont facilement reconnaissables à leur habillement caractéristique, sarrouel et petit bonnet blanc. J’apprécie leur tolérance car ils expliquent leur manière de concevoir la religion sans chercher à aucun moment à convaincre ou à imposer leur point de vue. Une belle marque de respect de l’autre.

 

 


5 / RETROUVAILLES
Débila, 12 décembre 1990. Salah m’invite à rentrer chez lui. Je viens de m’enquiller 500 kilomètres sous la « protection » de Monsieur Eole, très ( trop à mon goût) présent depuis mon arrivée sur le sol algérien. La journée fut encore une fois une lutte contre cet élément naturel qui a décidé de me mener la vie dure. La moto inclinée comme si elle enroulait un interminable virage, les muscles du cou endoloris par leur incessant combat contre le vent, la route tellement balayée par le sable qu’elle finissait par se confondre avec l’environnement. J’avais parfois l’impression d’être le marin d’un bateau qui tente de maîtriser son navire sous un fort grain. De temps en temps, je caressais le réservoir de ma moto comme le fait le cavalier à son cheval pour l’encourager . C’est que, Titine et moi, nous sommes maintenant comme les doigts de la main ; nous formons un tout indissociable. Difficile à exprimer cette communion parfaite qui s’est instaurée au fil des jours entre l’homme et la machine.

Entre Ouargla et Touggourt, je me suis arrêté dans l’unique bâtiment du parcours, le restaurant du carrefour. Un endroit sale, bleu et blanc à l’origine, avec trois tables entourées de quelques chaises bancales, des fils électriques pendouillant, un vieux frigo et un comptoir crasseux. Dehors, la tempête redoublait de violence. L’omelette aux frites que l’on me servit fut une des meilleures que je n’ai jamais mangé. Affamé, épuisé, je l’ai dévorée en appréciant chaque bouchée de ce plat simple mais ô combien délicieux. Deux thés à la menthe ont fini de me requinquer totalement. Les routiers présents m’ont mis en garde contre les passages de sable qui recouvraient parfois entièrement la route. J’ai ressenti un certain respect de leur part vis à vis de ce motard affrontant les éléments déchaînés. Au fur et à mesure que j’approchais de la maison de Salah et Mabrouka, je ressentais une excitation semblable à celle que j’éprouve en arrivant chez les personnes chères à mon cœur. Nous ne sommes pourtant vus que 24 heures il y a plus de cinq ans lorsque ce jeune couple nous avait chaleureusement hébergés lors de notre première journée sur le sol algérien. J’ai encore le souvenir de ce thé à la menthe que nous avions partagé au sommet d’une dune sous un ciel magnifiquement étoilé.

 

Les retrouvailles se font naturellement comme si nous nous étions quitté la veille. Un somptueux couscous est préparé en mon honneur et les discussions se poursuivent tard dans la nuit

.

Le lendemain, je paresse dans mon lit. J’écoute la maison se réveiller doucement. Je suis bien. Salah vient me réveiller et nous déjeunons ensemble. Nous partons ensuite au poste de police faire la déclaration d’hébergement, formalité obligatoire dans ce pays.

Pendant que Salah part travailler, il me confie à un de ses amis, Ali. Pour nous rendre à El Oued, nous nous dirigeons vers la station de taxis où j’ai tout loisir d’assister à une scène étonnante pour le pauvre Français que je suis. Il n’y a pas de file d’attente et de nombreuses personnes se sont dispersées stratégiquement( ?). Lorsqu’un taxi arrive, il se gare ( jamais au même endroit pour pimenter la chose). Les gens se précipitent et les derniers arrivés ont perdu. Après une demi-heure d’attente, nous trouvons enfin un taxi libre, une 404 familiale. Les 20 kilomètres sont parcourus avec, dirais-je, une rapidité teintée de nonchalance de la part du chauffeur génératrice de sueurs froides pour les passagers.

Nous visitons longuement la ville aux mille coupoles, le signe architectural de la région.

 

 

El Oued


 

6 / SCENES DE VIE
Nous mangeons chez Ali où je rencontre furtivement sa sœur. Elle nous apporte le couscous et s’éclipse discrètement. Mon compagnon me parle longuement des difficultés économiques de son pays, de l’impossibilité pour les Algériens d’aller à l’étranger. Les voitures sont hors de prix et le crédit est inexistant. Cela paraît incroyable mais, si l’on veut acheter une télévision, il faut au préalable passer la commande à un magasin d’Etat et attendre des années ; cela favorise la corruption et les postes s’achètent souvent au marché noir au double du prix officiel.

Ce matin, le taxi me paraissait pourri ; celui qui nous ramène à Débila l’est vraiment. A chaque bosse, je sens nettement le chassis se tordre de douleur, l’intérieur est dans un état pitoyable : plus de poignées de porte ou de vitre, tableau de bord hors service, bruits divers et inquiétants et suprême raffinement dans ce décor irréel, la présence d’un extincteur dont je doute de l’état de marche.

Comme pour finir de me convaincre des différences entre nos deux pays, je décide de vidanger ma moto en prévision de la suite de mon voyage. Simple formalité ? A voir. Au garage du village, le pompiste m’indique qu’il ne vend pas d’huile. J’en suis quitte pour une promenade de 20 kilomètres jusqu'à El Oued. A la station d’essence, on m’informe que l’on ne vend pas de bidon d’huile en bidon, uniquement en fût. Je me rends donc au marché pour acheter un bidon en plastique, retourne au garage où on me le remplit. Je rentre alors à Débila où le pompiste laisse à ma disposition un hangar sablonneux et sombre pour effectuer ma vidange. Je mécanique donc avec la hantise que du sable ne pénètre dans le moteur. J’achève enfin cette « opération de routine ».

Je rejoins Salah sur son lieu de travail ; il m’invite à boire le thé avec ses collègues .... à l’exclusion de la seule femme présente. Plus tard, alors que nous arrivons à la maison de Salah, ce dernier sonne. Mabrouka demande qui est là, son mari répond, rentre et après une courte attente nous invite à pénétrer dans sa maison en nous dirigeant directement dans le salon sans voir Mabrouka. Nous nous asseyons sur les coussins, à même le sol. Salah part à la cuisine et nous ramène le repas. Nous ne verrons pas Mabrouka tout au long de cette soirée. Cette situation me choque, mais je n’ose pas aborder le sujet tant elle semble naturelle pour mes amis Algériens. Au cours de la soirée, beaucoup de sujets sont abordés, notamment politiques. Contrairement à ce que j’ai pu constater au Maroc où critiquer Hassan II semble inconcevable, ici, on n’hésite pas à remettre en question les personnes au pouvoir. Où va l’argent du gaz et du pétrole ? se demandent mes amis. Pourquoi la vie quotidienne se dégrade-t-elle à ce point ? Est-il normal que l’on ne puisse même pas trouver des pièces détachées pour les automobiles ? Depuis mon arrivée en Algérie, j’ai effectivement remarqué qu’un nombre impressionnant de voitures n’avaient plus de démarreur en état de marche et j’ai poussé à plusieurs reprises certaines d’entre elles à la sortie des stations d’essence pour aider les conducteurs à démarrer. Je ressens une grande lassitude chez mes amis.

 


7 / PIQUE-NIQUE ALGERIEN
Vendredi 14 décembre 1990 . Le pique nique va commencer. Le chevreau qui nous accompagne depuis ce matin est égorgé, dépecé, découpé avec une dextérité incroyable, le feu est allumé. Nous sommes posés en plein désert. Une des deux voitures qui nous a emmenés ici a le capot ouvert car le moteur a supporté moyennement le voyage; je constate avec stupeur que toutes les pales du ventilateur sont cassées. Durant toute la journée, nous alternons repas, discussions et parties de football. Mes amis me font également découvrir toute la vie présente dans cet endroit désertique : oiseaux, lézards, insectes, petits trous de gerboises ( souris des sables), terrier de fennecs, traces de chiens sauvages.

 

Pique nique

La nuit vient de s’installer. J’enfile le burnous que me tend Salah. Je me laisse aller, assis en tailleur près du feu, levant la tête de temps en temps pour admirer le ciel étoilé. Je suis heureux, à mille lieux de mon pays. Je n’oublierai jamais ce pique nique en plein désert entouré de mes amis algériens.

Le lendemain, il est temps pour moi de reprendre la route. Au moment de quitter cette maison, j’ai la gorge serrée et les larmes me montent aux yeux. Je fais mes adieux à mes deux amis et à leurs trois enfants. La moto est de nouveau chargée et je pars, doucement.

Après deux stations d’essence dont les cuves sont vides ( étonnant dans un pays producteur de pétrole !), je peux enfin faire le plein de ma Honda et je me dirige plein sud avec le sentiment de faire un grand saut vers l’inconnu.

Au restaurant d’Hassi Messaoud, je commande une soupe et un thé ; le patron est tellement surpris par la frugalité de mon repas qu’il refuse de me faire payer !

A la sortie de la ville, une longue ligne droite de 370 kilomètres m’attend. Au loin, les dunes ocres du grand erg oriental s’offrent à mon regard ; de temps en temps, je croise un énorme camion Kenworth chargé d’acheminer le matériel dans les puits de forage dont j’aperçois les flammes au loin. La circulation se raréfie. Après 150 kilomètres, quelle surprise d’apercevoir une ferme modèle avec trois champs circulaires dont la verdure contraste étrangement avec l’environnement.

 

Ligne droite dans l'Erg oriental

Soudain, le moteur se met à s’étouffer, comme si un cylindre était hors service. Cela ne dure qu’une dizaine de secondes mais je prends conscience de la fragilité de mon équipage. Plus tard, je m’offre une halte pour fêter le 5000 ième kilomètre du voyage.

 

La route est de plus en plus déserte et accidentée et j’ai une curieuse sensation de solitude dans ce décor. Le soleil est sur le point de se coucher quand j’arrive à Ohanet. Déception, en fait du village attendu, je ne trouve qu’une station d’essence. Plutôt que de monter ma tente dans cet endroit lugubre, je décide d’atteindre In Amenas, 130 kilomètres plus loin. La nuit s’installe rapidement sur cette route défoncée. Les yeux écarquillés, je parcours à l’énergie la dernière partie de cette étape. Epuisé, je m’imagine dans le lit douillet d’une chambre d’hôtel pour me motiver. C’est malheureusement une simple cité pétrolifère qui m’accueille. Je rassemble ce qui me reste de forces et rencontre le commandant de la gendarmerie qui me propose en toute simplicité de monter la tente devant la caserne !

 

 


8 / LE PLATEAU DU FADNOUN

Lundi 17 décembre 1990. 13 heures. Je savoure un moment de douce quiétude, assis sur les marches d’une petite place à Illizi, un verre de thé à la main. Je songe à la folle journée d’hier ; j’en ai d’ailleurs ressenti les conséquences aujourd’hui et les 250 kilomètres entre In Amenas et Illizi m’ont paru un peu longs. Ici, je retrouve enfin un « vrai » village, calme, avec ses ruelles et ses petits magasins. Surprise, beaucoup de constructions sont en pierre ; il est vrai que je viens de quitter les dunes de l’erg oriental et le sol est beaucoup plus rocailleux dans la région.

Dans ce village perdu, il y a .... une auberge de jeunesse. En fait, un bâtiment délabré et désert. Le gardien du lieu est en train de nettoyer la chambre avant que je m’installe ; vu le nombre d’objets hétéroclites qu’il sort de la pièce, j’ai plutôt l’impression qu’il vide un vieux débarras !

J’ai la carte sous les yeux ; Alger est à près de 2000 kilomètres au nord, Djanet n’est plus qu’à 430 kilomètres mais, à partir d’Illizi, il n’y a plus que de la piste. Je viens d’effectuer les pleins d’eau et d’essence. Je suis heureux de pouvoir me reposer une bonne partie de la journée avant le départ de demain. Je sens monter en moi un mélange d’excitation et d’angoisse avant d’affronter la plus dure partie de mon voyage.

A 17 heures, le patron du restaurant ne se formalise pas quand je lui demande si je peux manger en plein après-midi. Cinq minutes plus tard, je dévore mon poulet-frites ; vingt minutes après, je m’attaque au second. Rassasié, je déambule dans les ruelles poussiéreuses de la ville. L’atmosphère n’est pas la même ici ; outre la chaleur, les hommes sont souvent noirs et superbes dans leur chèche blanc. Je suis le seul étranger.

 

 

Mardi 18 décembre 1990. 18 heures. Autour de moi, un paysage lunaire composé de cailloux gris-noirs. Derrière la tente, un énorme rocher aux formes inquiétantes érodées par le temps devrait me protéger du vent qui se lève. Au dessus de moi, de gros nuages noirs menacent. Je suis seul et je me sens seul. La journée a été éprouvante physiquement et moralement. Je suis parti au lever du jour et, dès les premiers kilomètres, j’ai emprunté une piste très dure, caillouteuse, avec parfois de véritables marches de près de trente centimètres à passer au pas.

 

La moto geignait, grinçait, claquait, craquait. Il m’était impossible de dépasser les 30 kilomètres-heure. Au kilomètre 90, je faisais une halte, découragé. Ma lourde moto me paraissait tellement inadaptée à cette piste cassante. Il m’avait fallu 5 heures 30 pour parcourir 90 kilomètres. Je me sentais désemparé et envisageais de rebrousser chemin ; j’avais le sentiment que j’allais casser ma moto sur ce plateau du Fadnoun.

 

Après un long moment de doute, je repris mon chemin pour arriver, au coucher du soleil dans ce qui sera mon campement cette nuit. J’ai parcouru 168 kilomètres aujourd’hui en roulant 10 heures d’affilée ; une sacrée moyenne ! La moto semble avoir tenu le choc. Il y a quelques heures, je croisais l’unique 4X4 de la journée avec, à bord, un groupe d’Algériens ; le conducteur à bord paraissait inquiet de me voir sur cette piste si peu fréquentée. « Il ne faut jamais rouler seul ici » me reprocha-t-il « c’est beaucoup trop dangereux ». J’étais d’accord avec lui mais il n’y avait pas énormément de candidats pour m’accompagner à la sortie d’Illizi !

Au moment de m’endormir, j’ai du mal à réaliser que je suis seul dans ce plateau de cailloux.

 


9 / DJANET ... ENFIN !

Après une nuit réparatrice, je reprends la piste gonflé à bloc sous un soleil radieux. Le plus difficile a été de m’arracher de mon duvet alors que le thermomètre de ma moto affichait -2 degrés. Le paysage est toujours aussi grandiose ; dans cet endroit minéral, la vision soudaine de deux antilopes me réchauffe le cœur ; avec une grâce et une légèreté inouïes, elles disparaissent rapidement de ma vue.

L’arrivée au col Tin Taradjeli est pour moi un moment empreint d’émotion. Il y a plusieurs années, j’avais lu un récit de voyage en moto et une photo superbe m’avait particulièrement touché. Brusquement, je me retrouve dans cet endroit magique qui marque la fin du plateau du Fadnoun. De là haut, j’ai une superbe vision sur le début du Tassili N’Ajjer, mélange de grands pics rocheux et de sable avec quelques arbres disséminés.

La piste devient supportable avec des passages difficiles de plus en plus espacés. De plus, j’ai le sentiment de mieux dominer la conduite sur cette piste en étant plus volontaire. Je commence à plus apprécier le paysage sans me crisper comme la veille sur une conduite au pas exténuante pour les nerfs d’un motard solitaire. Enfin, tel un mirage apparaît Zaouatallaz, petit village isolé. Quelle joie en apercevant quatre motos garées devant le petit restaurant. Je fais la connaissance de quatre sympathiques allemands et nous mangeons ensemble un délicieux plat de pâtes, pommes de terre et oignons relevé par une sauce .

Ils me proposent de rejoindre Djanet en leur compagnie et c’est avec un énorme plaisir que je me joins à eux. La piste devient de plus en plus sablonneuse et les ensablements rythment le parcours.

 

 

Ensablement

Mais, en groupe, ces moments difficiles ne sont qu’anecdote. Il y a toujours des mains secourables pour aider le compagnon de route en détresse. Nous quittons la piste et trouvons un endroit pour dormir dans un cadre paradisiaque. Nous partageons une énorme soupe et les discussions vont bon train ; je suis si heureux de pouvoir parler après ces longues journées de solitude. Je m’endors, apaisé.

La dernière étape du lendemain est courte, une véritable promenade de santé. A 3 kilomètres de Djanet, surprise : le goudron fait son apparition ; mieux vaut tard que jamais !

La douche prise au camping a un goût divin après ces trois jours de piste. Le campement prend forme ; quatre tentes, cinq motos, un semblant d’ordre, des motards propres qui reprennent allure humaine. Chacun vaque à ses occupations. Thomas écrit, Herman se repose sous la tente, Martin bricole sa moto, Herbert fait sa lessive. Je regarde avec une certaine admiration ma Honda. Je suis étonné par sa résistance ; elle a subi ces trois derniers jours des chocs d’une telle violence que, à plusieurs reprises, j’avais envie de m’arrêter, persuadé qu’elle était en train de rendre l’âme. Elle a gagné ses galons de grande voyageuse.

Mes compagnons ne désirant pas visiter cette région, je me mets en quête d’un guide dans une agence de voyages. J’y rencontre un couple de Français et un Suisse arrivés directement par avion ce matin. Nous décidons de nous regrouper pour une virée de trois jours.

 

 


10 / LE TASSILI N'AJJER
Samedi 20 décembre 1990. Tôt le matin, nous prenons place à bord du Toyota conduit par Hamid. Dès la sortie, nous partons hors piste dans cette magnifique région ; une légère brume rend cet endroit plus envoûtant encore. A plusieurs reprises, notre guide nous laisse marcher pour nous retrouver un peu plus loin. Le silence est saisissant et nous sentons très petits dans ce désert qui semble parfois nous écraser de son immensité. Les rochers et les falaises aux formes étonnantes se succèdent. Je suis émerveillé.

 

En fin d’après midi, nous arrivons au fond d’une vallée entourée d’une énorme barrière rocheuse. Nous sommes à Essendilène. Au pied de la falaise, une maison en pierre dans laquelle vit une famille avec son modeste troupeau de chèvres (Roger Frison Roche a écrit un très beau roman d’amour dont l’action se termine dans la région : Le rendez vous d’Essendilène).

Essendilene

 

Nous nous installons à l’écart et préparons le repas du soir. A la nuit tombée, le chef de famille vient nous rejoindre. Il parle d’une voix très douce comme pour ne pas perturber le silence qui nous entoure. Lentement, avec un plaisir évident, il replonge dans son passé en nous racontant le temps où il partait vers le sud dans les caravanes de chameaux ; son univers actuel, c’est cette petite maison de pierre et ce lieu superbe, isolé qu’il a adopté.

Guelta d'Essendilene

Difficile à exprimer cette sensation de bonheur lorsque nous rejoignons ce matin notre nouveau compagnon dans sa modeste demeure, quand il nous invite à boire le thé dans la minuscule cour de sable autour du foyer encadré par sept belles pierres grises, quand sa femme et leurs quatre enfants apparaissent en souriant, quand nous partons dans l’oued entouré de pics aux formes tourmentées, quand il nous explique dans un mauvais français l’utilisation des plantes qui poussent ici pour se nourrir ou se soigner, quand il nous montre les traces fraîches d’un fennec, d’un chacal, quand il part dans son si beau rire, éclatant de joie de vivre, quand il marche, en avant, en chantonnant doucement, quand il appelle le moala moala, petit oiseau blanc et noir très respecté par les touaregs, quand il gratte la roche pour en extirper le sel, quand nous découvrons une guelta, au fond de la vallée avec l’eau en surface, si rare ici, quand il nous raconte son bonheur de vivre dans cet endroit. Merci mon ami pour cette leçon de vie.

Touareg d'Essendilene

Mardi 25 décembre 1990. Je viens d’achever le chargement de ma moto. Après ces trois jours passés dans le Tassili N’Ajjer, je me sens plus calme, déterminé à affronter la difficile piste jusqu'à Illizi.

Piste Djanet-Zaoutallaz

Quelques heures plus tard, je me sens moins bien lorsque je me retrouve brutalement à terre ; ma moto couchée, perd l’essence par son bouchon de réservoir ; après de nombreuses minutes d’effort, je parviens enfin à relever ma trop lourde Honda. Exténué par cet effort violent, je m’engueule copieusement d’être un si mauvais pilote. Je sais pourtant que la chute est interdite quand on roule seul dans des endroits aussi peu fréquentés. Je retrouve vite mon calme, bricole la moto qui n’a pas trop souffert et décide de m’installer. Je ramasse le rare bois présent, allume le feu ..... et je sors mon repas de Noël, une énorme boîte de cassoulet offerte par mon beau frère le jour de mon départ. J’en salive à l’avance mais je ne parviens pas à retrouver mon ouvre boîte et je ne réussis qu’à entailler de quelques centimètres la boîte avec mon couteau ! Qu’à cela ne tienne, une bonne soupe déshydratée prend le relais. Je suis bien, le ciel est magnifiquement étoilé avec une demi-lune rayonnante ; par la pensée, je rejoins toutes les personnes que j’aime en France et je passe un Noël inoubliable, seul, en harmonie totale avec le désert qui m’entoure.

 


11 / CHRISTIAN, LE RETOUR
Jeudi 27 décembre 1990. Quel soulagement lorsque j’aperçois, au loin, le village d’Illizi, avec les dunes de l’erg oriental en arrière plan. Je quitte enfin l’enfer du plateau du Fadnoun en n’oubliant pas, au passage, de remercier ma moto d’avoir tenu le coup.

Honda 750 XLV sur le plateau du Fadnoun

Je ma précipite dans le premier restaurant ouvert et, affamé, dévore mon repas en un temps record.

C’est avec un plaisir évident que je retrouve le goudron et les 240 kilomètres sont avalés d’une traite, dans un état de douce euphorie.

Plus tard, alors que la nuit s’installe sur mon campement, bien abrité entre deux dunes, je me remémore la rencontre avec un couple d’allemands à bord de leur Land Rover sur le plateau du Fadnoun. L’homme, ancien motard, a fait le tour de ma monture et constatant l’absence de préparation, a longuement hoché le tête, dubitatif. Il semblait me considérer inconscient ; peut-être, mais ma bonne étoile a jusque là veillé sur moi. Qu’elle continue.

Gonflé à bloc, j’entame au petit matin la longue étape jusqu'à Hassi Messaoud. A mi parcours, j’ai une réaction d’angoisse en m’arrêtant à la station d’essence : l’arrière de la moto est tacheté d’huile ; je me précipite sous le moteur et constate avec effroi que le bouchon de vidange est tout simplement en train de se desserrer, sûrement la conséquence des 850 kilomètres de piste . Frisson rétrospectif en pensant à ce qui aurait pu arriver : perte de l’huile et casse irrémédiable du moteur. Un peu plus loin, à deux reprises, le moteur s’étouffe brutalement pour repartir de plus belle. Difficile de rouler en toute sérénité après !

 

Station d'essence d'In Amenas

Samedi 29 décembre 1990. Ghardaïa. Je suis affalé dans un lit deux places. J’ai craqué quand j’ai vu le prix de la nuit d’hôtel ( 100 francs) et j’ai laissé ma petite tente au fond de son sac. Je suis dans un état de fatigue avancé après le rythme infernal de ces derniers jours.

Trois scènes de la vie quotidienne m’ont fait sourire aujourd’hui :

Ce matin, à la sortie d’Hassi Messaoud, je passe à côté d’un panneau avec l’indication suivante : « CONDUCTEURS ! » ; 200 mètres plus loin, un deuxième panneau : « BONNE ROUTE », puis un troisième encore plus loin : « MAIS ATTENTION ! », enfin le panneau final ( quel suspense) : « AUX DANGERS DU SABLE ». Dans ce pays, les gens ne sont pas agressés par l’abondance d’informations !

Tout à l’heure, alors que j’attends mon tour pour téléphoner, six personnes tentent désespérément d’appeler leur correspondant en composant inlassablement le numéro, sans aucun succès. Après de nombreux essais infructueux, elles sortent, sans aucun signe apparent d’énervement en laissant la place aux suivants. J’imagine l’émeute que cela provoquerait en France !

Un panneau est accroché sur la porte d’une petite librairie de Ghardaïa avec la mention : « Fermé 10 jours pour cause d’inventaire ». Le temps n’a pas la même importance ici.

 


12 / ALGER
La dernière étape me conduit à Alger. Alors que je tente de me réchauffer pendant que le pompiste fait le plein d’essence de la moto, trois ouvriers du bâtiment viennent me chercher pour partager leur café accompagné de délicieux gâteaux. Ce n’est pas la première fois que je suis confronté à cette gentillesse permanente des Algériens ; elle se traduit par des petits gestes toujours désintéressés qui font chaud au cœur. J’aime ce pays.

Après un véritable parcours du combattant, j’arrive enfin à trouver un hôtel avec une chambre libre dans la capitale.

Le soir, à la recherche d’un restaurant, je demande tout simplement à un passant dans la rue une bonne adresse pour manger. Il m’emmène au petit troquet du coin où, me dit-il, se retrouvent les gens du quartier. L’accueil est chaleureux comme toujours dans ce pays. La télévision est en marche, une tradition en Algérie et j’ai la chance d’assister à un concert de chansons traditionnelles, un duo entre une chanteuse à le voix profonde et un violoniste d’une pure beauté. Peu après, c’est le vibrant appel à la prière du muezzin qui résonne dans les rues d’Alger. Je me sens alors dans un état second, indéfinissable, avec une pointe de mélancolie au fond de moi . La fatigue est très présente après cette remontée marathon depuis Djanet mais la fin du voyage se précise et j’aurais envie de le prolonger encore un peu.

Lundi 31 décembre 1990. 20 heures. Je rentre d’une très longue promenade dans Alger. J’ai marché des heures durant, au hasard ; j’ai vu des quartiers d’une saleté incroyable jonchés d’immondices, j’ai arpenté des ruelles grimpant sur les hauteurs d’Alger avec des ateliers de confection d’un autre siècle, j’ai vu une fourmilière envahir la ville avec un bruit omniprésent : klaxons, cafés assourdissants, sirènes des voitures de police dignes des plus mauvaises séries américaines, minuscules boutiques de cassettes audio où la musique hurle. J’ai été frappé, effrayé même par l’opposition de deux cultures ; le regard lourd d’un homme barbu portant les vêtements traditionnels à l’encontre d’une jeune femme en tenue occidentale m’a fait froid dans le dos ; combien de temps cette cohabitation entre deux entités opposées pourra-t-elle survivre ?

 

A la fin de la journée, j’ai longuement discuté avec un Algérien dans un café ; il m’a fait part de son inquiétude devant la tournure que prennent les événements dans son pays ; il m’a avoué se sentir un peu désemparé. J’ai terminé ma dernière journée sur le sol algérien en retrouvant mon petit resto et son sympathique serveur avec qui j’ai pu discuter entre deux clients. J’ai retrouvé mon hôtel dans lequel une estrade avait été installée pour accueillir un groupe de chanteurs et fêter la nouvelle année. Je ne me sentais pas concerné par ces festivités, peut-être parce que l’année m’avait réservé de mauvaises surprises, et j’ai regagné ma chambre.

Mardi 1er janvier 1991. Le bateau ronronne régulièrement, le tangage est à peine perceptible, le temps est maussade et l’ennui s’installe. Je passe en revue dans ma tête tous les moments forts de ce voyage, je remercie par la pensée tous les Algériens croisés sur ma route qui m’ont apporté tant de moments heureux. Je sais que ce troisième voyage dans ce superbe pays ne sera pas le dernier et l’espoir d’y retourner bientôt me remplit de joie. Et, quelque part entre l’Afrique et l’Europe, j’ai envie de sourire à la vie.

 Honda 750 XLV

 

Que la paix descende sur ton âme
Comme le silence sur la campagne
Que ta méditation soit pareille
Aux flammes du feu de campement
Que le vent ne tourmente plus

( Verset du Coran )