Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

L'imagination en voyage (tome 1) - chapitre 7

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Chapitre 7

Dans son champ de vision, il y avait le dromadaire et sa démarche chaloupée. La tête recouverte
d'un chèche bleu pour se protéger du soleil et de la sécheresse de l'air, Chris peinait un peu à suivre
le rythme. Il aurait voulu être une libellule mais, il se sentait plutôt éléphant avec son corps qui
s'enfonçait à chaque pas dans le sable du Tassili N'Ajjer. Il enviait Siakou qui marchait en avant et
guidait son chameau. Celui-ci avançait avec une facilité étonnante, sans effort apparent.


Chris était émerveillé par les paysages qu'ils traversaient depuis deux jours. Ils pénétraient dans
d'immenses vallées encadrées par des falaises rocheuses et il avait peu à peu perdu tout point de
repère. Régulièrement, surgissaient d'étonnantes compositions de rochers érodés ; entraîné par son
imagination, il croyait reconnaître un champignon, un chien, la silhouette d'une femme derrière cette
nature aux talents d'artiste qui avait sculpté ces formes incroyables. Il avait le sentiment profond de
fouler le sol d'une nouvelle planète ; cela le plongeait dans un état second. Il finissait par oublier qui
il était, d'où il venait. Son esprit se détachait de tout ce qui avait fait sa vie jusqu'à aujourd'hui ; une
légèreté s'emparait de tout son être dans ce coin de désert perdu.

Siakou parlait peu, sauf lorsqu'il désirait lui faire découvrir certains sites remarquables telles les
nombreuses peintures et gravures rupestres. Au pied d'immenses falaises, ils découvraient de
véritables oeuvres d'art dans ce musée en plein air. Ce qui n'était maintenant qu'un vaste désert avait
abrité de nombreuses populations qui, au travers de ces quelques peintures, avaient laissé un
témoignage de leur vie passée.
C'est avec une profonde émotion que Chris contemplait ces scènes datant de plusieurs milliers
d'années.

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Pas un souffle de vent, le silence était total alors que la nuit avait pris place. Devant eux, la silhouette
d'une fantastique arche de pierre se dessinait dans la douce lumière de l'astre lunaire. Ils
n'étaient plus qu'à quelques heures de marche du campement de Siakou. Alors qu'il venait de se consacrer
au rituel du thé, ce dernier entama un long monologue au cours duquel il raconta sa vie, celle
des touaregs.
" D'ailleurs, ce nom de touareg a été donné à mon peuple lors des conquêtes arabes. Mais, nous
sommes des Imohagh qu'on peut traduire par " être libre ".
Tu sais, comme beaucoup, je travaille en ville maintenant. Je fais visiter notre région aux touristes ;
mais, dès que je peux, je vais rejoindre ma femme dans notre campement. Je suis un nomade et ne
peux pas rester trop longtemps en ville ; il y a trop de tristesse dans ces endroits, je m'y sens comme
un prisonnier. Mon père, mes oncles ont connu les caravanes de sel jusqu'au Niger, pas moi. Et je le
regrette profondément ".


Chris fut touché par ce langage du coeur d'un homme luttant pour ne pas se laisser enfermer dans
une politique de sédentarisation de l'Etat Algérien. Quels que soient les pays, il était décidément mal
vu d'être nomade. Il réalisait que, chez lui, les gitans étaient confrontés aux mêmes problèmes. Il eut
soudain honte de ne jamais s'y être intéressé ; il lui était tellement plus confortable de vivre avec des
oeillères.


Il souhaita une bonne nuit à son compagnon qui s'emmitoufla dans sa couverture. Il y avait
longtemps que les rares morceaux de bois ramassés au cours de la journée avaient fini de brûler ; il
ne restait plus que quelques braises au dessus desquelles il se réchauffait les mains. Il n'avait pas
sommeil ; il s'adossa à la paroi rocheuse, inspira profondément, enfonça ses doigts dans le sable
frais. Il sentait tout son être absorbé par ce coin de désert, il laissa échapper quelques larmes comme
un trop plein de son émotion.

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Imperceptiblement, Siakou accéléra le pas. Son campement était proche et Chris nota quelques
changements dans son attitude. Lui habituellement si calme balayait de plus en plus souvent du regard
les paysages alentours ; soudain, il s'arrêta, tendit le bras. Chris eut beau scruter l'horizon, il ne
vit rien. Son compagnon, lui, avait déjà aperçu, au loin, le léger nuage de poussière soulevé par son
troupeau de chèvres.
Une heure plus tard, ils arrivaient au campement de Siakou, constitué de quelques zéribas, huttes de
roseaux secs, et de tentes. Entre sédentarisation et nomadisme.
Une femme les fit pénétrer dans une des tentes et ils furent invités à boire le thé. C'était l'épouse de
Siakou et Chris fut surpris de leurs retrouvailles ; aucune manifestation de joie après ces longues semaines
de séparation. Mais il crut déceler dans leurs yeux une grande tendresse partagée. Une adorable
petite fille surgit et se précipita dans les bras de Siakou. Plus aucune retenue entre le père et sa
fille. Ils discutèrent un moment en tamacheq, le langage touareg.