Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

L'imagination en voyage (tome 1) - chapitre 2

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Chapitre 2

Accoudé au bastingage, Chris regardait la ville d'Alméria, illuminée. L'avenue principale, bordée de palmiers, longeait la mer ; des centaines de véhicules la parcouraient alors que la nuit venait de s'installer. Au dessus, la blancheur éclatante des murs de la vieille ville se détachait. Il s'y était longuement promené au cours de l'après-midi sous le charme de l'atmosphère orientale de ce quartier.


Il y a quelques minutes, il avait soigneusement garé sa moto dans la cale et surveillé de près son amarrage
par un des hommes du ferry.


Il sentit une vibration parcourir le bateau ; les moteurs venaient d'être mis en marche ; son corps tout entier absorba le frémissement de cette carcasse métallique. Dans quelques minutes, il allait quitter l'Europe ; un léger vertige l'envahit.


Chris resta très longtemps sur le pont, bien après que la terre espagnole eut disparu de sa vue ; mais, le froid devenait trop intense et il regagna la cafétéria pour se restaurer. Alors qu'il cherchait une table libre, un vieil homme lui fit signe de s'asseoir près de lui ; un large sourire éclairait son visage ridé.


Deux heures plus tard, la conversation se prolongeait devant deux tasses de thé. Mustapha lui avait raconté sa vie de jeune Marocain arrivé dans les années 60 en France, son embauche dans les usines Renault, ses difficultés d'intégration, ses retours au pays, chaque année pendant les vacances, les économies durement amassées qui lui avaient permis de s'acheter un lopin de terre et de construire sa maison, dans la région de Zagora.

Cette traversée avait une saveur toute particulière : il regagnait définitivement son pays natal après sa mise à la retraite. Ses yeux brillaient quand il parlait de ses projets pour les années à venir, au milieu des siens.


A la fin de leur longue conversation, il griffonna son adresse sur un bout de papier. " Vous serez le bienvenu chez moi " dit-il à Chris. Ce dernier n'avait pas osé aborder les circonstances de son voyage;  il ne réalisait pas encore ce qui lui arrivait et le sentiment de faire quelque chose d'interdit ne quittait pas totalement son esprit. Son compagnon évita avec discrétion d'aborder des sujets trop personnels.


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Six heures du matin : assis sur le pont arrière du ferry, Chris porta à ses lèvres l'harmonica qui ne le quittait jamais . Il ressentait un besoin impérieux de jouer, comme pour fêter cette liberté qui envahissait out son être. Les yeux fermés, il joua longuement, les notes étaient projetées vers l'horizon, ricochaient sur la mer d'huile, puis fendaient l'eau, accompagnaient quelques dauphins dans leur course, se joignaient aux bancs de poissons, et enfin s'éteignaient doucement dans les fonds marins.


La côte africaine lui apparut enfin alors qu'il portait son regard au loin, impatient. L'arrivée au port lui sembla interminable. Enfin, il put sortir sa moto de la cale du ferry et parcourir les quelques kilomètres le séparant de la frontière. Deux heures plus tard, il foulait la terre marocaine. Il roulait sur un filet de gaz, attentif à tout ce qui l'entourait : quelques ânes , les camions d'un autre âge portant des chargements incroyables , les maisons en terre, les traversées de villages au milieu d'une joyeuse pagaille.

Le bruit feutré du V-twin le rassurait ; il semblait lui dire qu'il l'accompagnerait out au long de ce voyage un peu fou qui se construisait dans sa tête. D'ailleurs, instinctivement, il avait adopté un rythme de conduite sage ; il sut qu'il ne dépasserait plus les 5000 tours minute au compte tours, il accélérait avec progressivité, autant pour respecter sa mécanique que pour se mettre en phase avec ce pays qu'il découvrait.

Régulièrement, les enfants lui faisaient de grands signes de la main en souriant et c'était à chaque fois comme une petite impulsion qui le portait un peu plus loin sur cette route sinueuse.

Maroc


Il réalisa soudain qu'il roulait sans savoir où il allait ; il n'avait pas de carte routière et il suivait instinctivement
cette route qui se dirigeait vers le sud. C'était la première fois qu'il agissait ainsi.


Jusqu' à présent, les virées sur sa moto avaient toujours été programmées, avec un itinéraire précis,rassurant. Aujourd'hui, il se sentait maître de son destin, libre. Depuis son adolescence, il adorait se plonger dans des livres qui racontaient des voyages mais tout cela lui semblait inaccessible, effrayant et les vivre par procuration lui paraissait suffisant. Le bonheur qui l'envahissait à cet instant bouleversait toutes ses certitudes et il touchait du doigt un autre mode de vie.


Chefchaouen 17 kilomètres : ce nom sur le panneau indicateur l'amusa et il décida qu'elle serait sa première étape marocaine. Il arriva alors que les derniers rayons de soleil embrasaient cette petite ville accrochée aux montagnes du Rif.


Chris gara sa Transalp près d'un âne chargé de deux couffins qui stationnait devant un restaurant. La scène le fit sourire et c'est d'humeur joyeuse qu'il dégusta son premier tajine. Alors qu'il terminait son repas par un thé à la menthe au doux parfum, un jeune marocain l'aborda . Après quelques minutes de conversation, il lui proposa un peu de chocolat ! Surpris, Chris ne sut quoi répondre ce qui fit beaucoup rire son interlocuteur. Ce dernier lui montra son " chocolat ", un peu de kif, et lui indiqua que cette herbe était cultivée dans la région. Beaucoup d'habitants en fumaient régulièrement et cela remplaçait le pastis français. Autre pays, autres moeurs !

 Chefchaouen (Maroc)