Sortie de mon premier roman : L’araignée et les volets de bois

Triumph Tiger 900 Rallye Pro

Mercredi 10 juin 2020. 8 heures. Je quitte Pau en rentrant sur le morne ruban autoroutier. Cela m'arrive très rarement mais, aujourd'hui, j'ai une bonne raison pour cela. Il y a une prometteuse moto qui m'attend à Biarritz, la nouvelle Triumph Tiger 900. Je sens une excitation qui monte en moi. J'ai beau avoir un million de kilomètres dans les jambes, ma passion pour la moto ne s'est pas émoussée, bien au contraire. Sur l'autoroute assez peu fréquentée, j'ai le temps de laisser mon esprit vagabonder. Je pense à la Tiger 800 dont j'avais pris le guidon il y a bientôt six ans. J'étais persuadé que cette moto me conviendrait et ma déception en avait été d'autant plus grande. Non pas que le modèle était peu réussi, c'était juste une histoire d'absence de connexion avec le trois cylindre anglais. Lisse, accompagné par un sifflement permanent, il ne m'avait pas parlé, ce moteur, malgré d'indéniables qualités. J'en étais arrivé à la conclusion que seul le bicylindre pouvait recueillir mon assentiment.

Mais, lors de la présentation de la nouvelle Tiger 900  en décembre 2019 , quelque chose avait retenu mon attention. Triumph annonçait que le moteur bénéficiait d'un nouvel ordre d’allumage 1-3-2 (il allume les cylindres 1-3-2 selon un calage arythmique 180°/240°/240°) dans le but donner plus de caractère et de sensations avec un comportement "proche d'un bicylindre à bas régime, tout en maintenant tout le couple et la puissance d'un trois cylindres à mi-régime".

Fichtre, m'étais-je dit, est-ce du charabia technique ou est-ce que cela correspond à la réalité? Il n'empêche que cette nouvelle m'avait interpellé et l'envie était forte de vérifier par moi-même en temps voulu, d'autant que l'évolution de la machine me paraissait aller dans le bon sens. 

J'arrive à 9H30 à la concession Triumph de Biarritz. Cela fait trois fois que je viens ici en peu de temps. Il faut dire que la gamme du constructeur anglais a de quoi séduire l'amateur de trails que je suis. 

Le modèle haut de gamme, la Rallye Pro est dehors. Esthétiquement, je la trouve bien plus réussie que sa devancière. La ligne s'est nettement affinée et, comme cela semble être une constante chez le constructeur anglais, la finition est superbe.

Damien me présente la machine. Je lui parle du moteur et il ne me donne pas l'impression d'avoir trouvé une très grande différence avec le 800 qu'il appréciait beaucoup. Qu'en sera-t-il pour moi? J'enfourche la moto. J'ai opté pour le modèle muni de la roue de 21 pouces car je sais que le ressenti généré me correspond totalement. Je craignais par contre une hauteur de selle un peu trop importante. Il n'en est rien. Avec la selle en position basse, je pose la partie avant de mes bottes par terre bien aidé par la finesse de la moto. 

C'est parti!

La moto décolle en douceur avec un embrayage progressif. Je suis surpris par le guidon que je trouve un peu trop éloigné et m'oblige à me pencher (légèrement). Je monte les rapports à bas régime, le boîte se révèle douce et précise.   

J'ai parcouru un kilomètre et je commence déjà à entrevoir le changement opéré dans le trois cylindres. Il est toujours aussi souple (une merveille) mais je sens nettement les conséquences de ce calage différent .... et j'aime beaucoup!

Je quitte la circulation urbaine et attaque la montée vers Saint Pée sur Nivelle. Le tableau de bord nouvelle génération est de bonne taille avec beaucoup d'informations mais je n'arrive pas à  lire le régime moteur. Le compte-tours est illisible. J'avais adoré celui de la Triumph Scramber 1200 clair, précis et esthétique. Là, c'est loin d'être le cas. Je me demande quelle idée est passée dans la tête de son concepteur pour arriver à un tel résultat. Peut-être était-ce après une nuit à fumer des substances illicites, les mêmes qu'avait ingurgité son homologue chez Honda quand il a décidé de modifier le commodo gauche, il y a quelques années, en inversant klaxon et clignotants....

A moins que ce dernier n'ait été débauché du constructeur japonais par Triumph pour concevoir ce tableau de bord....

 

J'enchaîne une série de virages. La mise sur l'angle est un peu moins naturelle que sur la Honda Africa Twin, une moto que je commence à bien connaître, à cause de ce guidon un peu trop éloigné. De même, je ressens un petit peu moins de vivacité que sur la moto japonaise. Je me demande si cela ne vient pas d'un poids plus élevé du moteur. Rassurez-vous, cela reste d'un haut niveau. Mais quitte à avoir les éléments pour comparer, autant le faire. 

Pour en terminer avec les points négatifs, je ressens une petite gêne juste au dessus des genoux. Quand je suis au guidon, j'aime enserrer le réservoir et diriger la moto par une poussée au guidon. C'est pour cela que je suis sensible aux motos sur lesquelles je peux faire corps avec elles. Sur la Triumph, c'est le tube haut du cadre qui sert d'appui à mes genoux.

A part ces points de détail, je suis aux anges avec ce moteur dont l'évolution est nette comparé à l'ancien. Terminé le sifflement constant, il dégage maintenant une sonorité bicylindrique feutrée tout à fait à mon goût. Je ressens ses douces pulsations et c'est une source essentielle de mon plaisir à moto. Le trois cylindres fait toujours preuve d'une très grande souplesse, caractéristique très importante pour moi mais, à la reprise, il transmet plus de vie que l'ancien bloc et génère plus de bien-être pour celui qui est au guidon. Bref, j'ai le sourire sous mon casque, en phase avec les pièces mécaniques qui oeuvrent sous le réservoir. La boîte de vitesses participe à ce ravissement, douce et hyper-réactive sous l'impulsion du pied sur le sélecteur. La moto dispose d'un shifter et, bien que pas particulièrement emballé par cette technologie, je la teste. Résultat: très bien au rétrogradage avec le petit coup de gaz qui l'accompagne, moins agréable à la montée des rapports avec cette coupure brève mais sensible; j'ai l'impression d'une phase peu naturelle faisant souffrir la mécanique. Certains vont me dire que ce n'est que du ressenti, mais je fonctionne beaucoup comme cela.... C'est en tout cas nettement  mieux que sur les BMW F 750 GS et BMW F 900 XR essayées récemment et pas tout à fait au niveau de la KTM 790 Adventure exemplaire dans ce domaine. Mais, personnellement, je ne vois pas vraiment l'intérêt du shifter avec une boîte de vitesses d'une telle qualité.

 

Après un petit temps d'adaptation due à une ergonomie pas tout à fait à mon goût avec ce guidon un  peu trop éloigné, je me régale de ce train avant agile et sécurisant dans les mises sur l'angle. La châssis est neutre, la fourche avant absorbe bien les chocs, le freinage répond présent sans aucune violence, tout cela contribue à une conduite sereine. Je me sens bien sur cette moto. J'ai cessé de regarder le compte-tours illisible. Cela me manque, j'aime bien savoir à quel régime je suis. Je suis époustouflé par la faculté de la moto à descendre bas dans les tours et à reprendre sans aucun à-coups, mais non pas sans vigueur à la remise des gaz. Entre 4 et 6000 tours/minute, le coffre du moteur s'amplifie et la moto prend de la vitesse en un rien de temps. Oui, ce 888 cm3 me réconcilie totalement avec le trois cylindres. Je ne me lasse pas de l'écouter me parler à voix basse en bas du compte-tours, puis prendre de l'ampleur à moyen régime juste avant de rugir un peu plus haut. Je ne crois ne pas avoir dépassé 6000 tours/minute sur les petites routes basques mais c'est amplement suffisant pour rouler à un très bon rythme. Il a du coffre, ce moulin, mais cela se fait en douceur. Je trouve qu'il se rapproche de celui de l'Africa Twin et c'est un sacré compliment pour moi vu l'amour que je porte à cette moto. C'est un signe, je réalise que l'heure tourne et qu'il me faut faire demi-tour; ma demi-heure d'essai va être largement dépassée, mais je me sens si bien sur cette moto.

 

 

Il n'y a pas beaucoup de revêtements bosselés sur mon parcours et je passe volontairement sur les cassures que je trouve. Les suspensions absorbent bien les chocs. Malgré leurs grands débattements (240 mm à l'avant, 230 mm à l'arrière), la moto n' a pas de grosses variations d'assiette, notamment au freinage. Il n'y a pas cette plongée excessive que j'avais notée sur la Ténéré 700. Comme quoi on peut concilier grands débattements et maîtrise de ce phénomène. On peut dire la même chose de la hauteur de selle. Sur la Yamaha, j'avais été tendu dans les demi-tours perché beaucoup trop haut. Sur la Triumph, (comme sur l'Africa Twin), je me suis senti beaucoup plus serein dans ces manœuvres malgré le poids plus élevé. A noter le bon rayon de braquage de cette Tiger 900.

J'ai voulu tester la position débout (très bonne), mais pas le tout-terrain. Personnellement, je considère que ces gros trails ne sont pas vraiment faits pour cela malgré la tendance actuelle à nous inonder de photos et de films les présentant dans des figures dignes des motos d'enduro. Je les vois plus comme des motos très polyvalentes aptes à emmener à peu près partout les pilotes à leur guidon, comme ont su si bien le faire mes Transalp 600. Pour le tout-terrain pur, il y a des motos faites pour cela, bien plus légères et moins fragiles (et coûteuses) en cas de chute.

 

 

Il est temps de rentrer .... à regret. Hormis les petits bémols évoqués en début d'article, je me sens très bien sur cette moto. Pour en rester au stade de la comparaison avec l'Africa Twin, j'opte pour la Honda que je trouve encore plus évidente et naturelle à piloter et plus ergonomique mais cela se joue à un très haut niveau entre les deux machines et  ce n'est que mon ressenti personnel.

Au niveau consommation, l'ordinateur de bord remis à zéro au moment du départ indique 5,55 litres/100.

Je trouve que cette Triumph a franchi un grand pas en avant par rapport à la 800. Le constructeur est parvenu à un très bel ensemble équilibré et dispensant ce qu'il faut de sensations mécaniques. Une réussite.

Comme dans tous mes essais, je n'aborde pas le sujet du prix. Si on a le budget et qu'on accroche à une moto, on l'achète. Sinon, on va voir ailleurs comme je l'ai fait en laissant tomber l'Africa Twin pour sa petite sœur il y a un peu plus d'un an.

Je me souviens de la fin des années 70 quand je commençais, adolescent, à m'intéresser à la moto. Après n'avoir pas su résister à la vague des motos japonaises bien plus modernes (et fiables!), la marque était en alors en sursis après sa mise en coopérative. Jusqu'à disparaître en 1980. Puis, il y eut le rachat de l'entreprise par le milliardaire John Bloor qui fit table rase du passé en présentant au salon de Cologne en 1990 une gamme entièrement nouvelle. J'ai en tête l'interview de cet homme qui, dix ans après le redémarrage de l'entreprise, avouait qu'elle perdait toujours de l'argent mais que peu lui importait, il était maître à bord sans pression d'actionnaires extérieurs. Sa persévérance a payé et je suis impressionné par la qualité des motos de la marque actuellement. En outre, elles correspondent, avec leur caractère, à ce que j'attends d'une moto.  J'ai d'ailleurs presque l'impression que Triumph a entendu mes critiques et a modifié le trois cylindres en fonction de mes desiderata!

Je m'étais senti en harmonie avec les deux bicylindres de la marque ( celui de la Scramber 1200 et de la Scrambler 900, chacun dans leur registre) qui correspondent, par leur comportement, à ma manière de conduire, coulée mais dans un bon tempo. Je peux maintenant rajouter le trois cylindres qui a évolué dans le sens espéré.

 

 

 

 

C'est pleinement heureux de mon essai que je rentre à la maison. Sans carte, sans GPS, je me suis laissé guider par le panneau indiquant Hasparren par la route des cimes. Ensuite Saint Jean Pied de Port, Iraty, Sainte Engrâce, Arette, Lourdios-Ichère, col de Marie Blanque et, cerise sur le gâteau quelques routes sinueuses jusqu'à Pau. Quatre heures de bonheur à alterner virages, montées et descentes. J'ai eu confirmation de ce que je savais déjà: nul besoin d'une grosse cylindrée pour prendre son pied à moto!